L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

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Algernon
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar Algernon » 29 septembre 2016 à 15:38

PascalG a écrit :J'aimerais y croire, mais... Je ne suis pas sûr que ce soit compatible. En tout cas, c'est pour cela que cette naïveté/idéalisme, ne m'a pas choqué chez ces personnages. Souvent, je suis sidéré par ce type de naïveté, dans "la vraie vie", mais les gens que je peux avoir en face de moi ne se considèrent pas le moins du monde comme naïf. Ils y croient, ils ne peuvent pas imaginer que le monde ne se pliera pas à leur volonté, ils iront jusqu'au bout... Je sais pas si je suis clair... Mais j'imagine que tu en croises régulièrement aussi, des gens comme ça, non ? (Ou alors, c'est moi qui suis un aimant à "idiots du village", ce qu'on peut envisager...)


Tu es d'autant plus clair que j'ai pour père une personne qui correspond en tout point à ta description (sauf que je ne me permettrai jamais de le traiter d'idiot du village). Encore récemment il s'est lancé dans un grand projet qui devait aboutir au retrait d'une récente loi. Ce fut un échec. Pour moi, il a fait preuve d'une terrible naïveté, tu dirais sans doute qu'il est un idéaliste. Et mon père préfèrerait sans doute ta vision des choses à la mienne. Nous interprétons différemment la réalité dans laquelle nous évoluons (et celle des livres dans lesquels nous nous plongeons) et je ne prétends pas que l'un de nous a plus que raison que l'autre.

Aldaran a écrit :Ce qui me gêne avec l'emploi de « nature humaine », c'est qu'on se contente souvent d'y empiler uniquement toutes les saloperies dont est capable le genre humain. Comme si cette « nature humaine » était une « raison » suffisante pour expliquer ces saloperies.
Peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression que c'est aussi ce que fait Algernon en opposant la naïveté et la « nature humaine ».
Mais est-ce que les humains capables de naïveté ou d'empathie ou d'idéalisme ou... de bisounourserie (pardon) ne font pas partie de cette « nature humaine » au même titre que les autres ? Et pourquoi les salopards seraient-ils exempt de naïveté ?
Le sujet est complexe et je ne dois pas être des plus clairs.
Mais il est (le sujet), à mon sens, l'un de ceux qu'à traité Liu dans cette nouvelle. D'ailleurs il pose assez nettement la question : qu'est-ce qu'un monstre ?


Non, je n'oppose pas la "naïveté" et la "nature humaine". Si je donne l'impression de reprocher à Evan sa naïveté mais d'excuser les négationnistes de tout horizon en raison de la nature humaine, c'est terrible car ça signifie que j'ai totalement échoué à exprimer correctement ma pensée.

Bon, je vais essayer de me reprendre.

D'abord, je ne cherche pas à excuser le négationnisme en tentant de réfléchir au pourquoi de leur négation. Je sais que certains politiques sur des sujets d'actualité n'ont pas hésité à dire qu'expliquer, c'était excuser, mais je ne suis pas du tout d'accord. Pour lutter contre quelque chose, il faut d'abord la comprendre. Je crois sincèrement que c'est en comprenant les raisons qui poussent une personne à la négation de faits réels et prouvés que l'on peut lutter contre le négationnisme. Bien plus qu'en faisant voter des lois qui empêchent certaines idées de s'exprimer mais qui les laissent se répandre à tout-va dans les recoins les plus sombres d'internet (et dans les bars privés).

Après, je le répète, je suppose que la naïveté peut être une raison. Je peux imaginer que certains japonais naïfs sont incapables d'imaginer que les horreurs de l'Unité 731 aient réellement pu se produire (mais a contrario j'ai beaucoup de mal à croire naïf une personne qui dit que les camps de concentration nazis n'ont jamais existé, peut-être parce qu'en tant qu'occidental les horreurs nazis sont plus ancré dans mon Histoire que les crimes japonais). Mais il y a aussi d'autres raisons qu'il est nécessaire de comprendre pour pouvoir lutter contre le négationnisme. J'aimerais me contenter de hausser les épaules, de les balayer des gestes de la main en m’exclamant "bah ce ne sont que des salopards" mais ce n'est malheureusement pas aussi simple.

Alors qu'il ne me semble pas important de comprendre le pourquoi de la naïveté d'Evan (surtout si pour d'autres lecteurs sa naïveté n'est que de l'idéalisme). Evan est ainsi. D'autres auraient peut-être fait les choses différemment mais lui les a fait comme il est. Ce qui est d'ailleurs est nécessaire pour l'aboutissement du roman. Evan est un personnage de roman, alors que les négationnistes existent réellement.

Et... et je vais m'arrêter là car je n'ai pas l'impression d'être plus clair qu'avant.

Bon, juste une question. Qui est Kirsten ?
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar PascalG » 29 septembre 2016 à 16:33

Algernon a écrit :Nous interprétons différemment la réalité dans laquelle nous évoluons (et celle des livres dans lesquels nous nous plongeons) et je ne prétends pas que l'un de nous a plus que raison que l'autre.

Tout à fait ! C'est ce que je voulais dire en parlant du fait que ce n'était que le reflet de "MA façon de penser", au final.
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar yogo » 29 septembre 2016 à 17:03

Algernon a écrit : il ne me déplairait pas que quelques uns d'entre nous, nous nous mettions d'accord pour lire régulièrement un livre dans un même laps de temps pour pouvoir ainsi en discuter réellement ensemble mais à l'ère des blogs où les internautes préfèrent être les rois de leurs petits espaces individuels je doute que ça intéresse grand monde.
Pourquoi le faire de manière officielle, rien ne vaut la spontanéité, à nous de rebondir sur telle ou telle critique et de faire vivre les sujets du forum (ou d'un autre !). Sinon, on peut attendre la prochaine critique de Thierry ;-)

A part çà, je viens de le finir, (et j'ai poursuivi avec cette discussion !) c'est vrai que ce livre fait réfléchir mais je me suis posé beaucoup moins de questions que vous !
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar ubikD » 29 septembre 2016 à 18:24

Après, je le répète, je suppose que la naïveté peut être une raison. Je peux imaginer que certains japonais naïfs sont incapables d'imaginer que les horreurs de l'Unité 731 aient réellement pu se produire (mais a contrario j'ai beaucoup de mal à croire naïf une personne qui dit que les camps de concentration nazis n'ont jamais existé, peut-être parce qu'en tant qu'occidental les horreurs nazis sont plus ancré dans mon Histoire que les crimes japonais). Mais il y a aussi d'autres raisons qu'il est nécessaire de comprendre pour pouvoir lutter contre le négationnisme.


Le négationnisme est une posture idéologique. Il n'y a pas à chercher plus loin. Dans sa version soft, c'est un acte de foi où les arguments rationnels n'ont que peu de prise puisque le passionnel et l'émotion ont pris le contrôle de la raison. Dans sa version hard, il s'avance masqué, cherchant à biaiser ou détourner les faits de manière à instiller le doute. Et dès qu'il y a doute...
Mais je te renvoie aux déclarations de "l'homme de la rue" qui, dans la novella de Ken Liu, dévoilent la diversité des réactions humaines face à un tel événement.
(Florilège non exhaustif : c'est des vieux trucs, on y peut rien/ne contrarions pas les gens/A l'époque, les paysans chinois crevaient comme des mouches/Je m'en fiche/les Chinois mangent des chiens et sont cruels avec les Tibétains/ils se passent toujours des horreurs pendant la guerre, il faut pardonner maintenant...)
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar Algernon » 29 septembre 2016 à 18:58

ubikD a écrit :Le négationnisme est une posture idéologique.

Dans sa forme politique, en effet. L'idéologie est aussi une des raisons dont je parlais plus haut. Mais pour le négationnisme de l'homme de la rue, "l'interviewé"... les raisons sont multiples. Et traiter d'idéologie les délires négationnistes de certaines personnes, c'est d'une certaine manière leur faire un bon gros compliment.

ubikD a écrit :Il n'y a pas à chercher plus loin.

Et voilà, c'est justement parce qu'on ne cherche pas plus loin qu'on échoue à éradiquer le négationnisme.
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar ubikD » 29 septembre 2016 à 19:21

Et traiter d'idéologie les délires négationnistes de certaines personnes, c'est d'une certaine manière leur faire un bon gros compliment.

Quand tu parles des délires négationnistes de "l'homme de la rue", tu parles des théories du complot ?
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar Aldaran » 29 septembre 2016 à 19:28

Algernon a écrit :Bon, juste une question. Qui est Kirsten ?

L'un des personnages du roman Station Eleven, que m'a recommandé M 21 (la partie mâle des 42).

Je ne réponds pas au reste, poursuivre la discussion à ce stade ne ferait qu'enfoncer nos points de vues à chaque intervention.
Au plaisir de le faire de vive voix un de ces quatre (j'aurai mon avatar sur le ventre lors des prochains croisements, si ça peut aider).
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar Algernon » 29 septembre 2016 à 19:44

ubikD a écrit :
Et traiter d'idéologie les délires négationnistes de certaines personnes, c'est d'une certaine manière leur faire un bon gros compliment.

Quand tu parles des délires négationnistes de "l'homme de la rue", tu parles des théories du complot ?


Oui et non. Certaines théories de complot servent un dessein idéologique - comme prétendre que les camps sont une invention d'Israël pour susciter l'empathie - mais d'autres ne sont qu'un montage démentiel de théories loufoques. Prenons un cas extrême : Anders Breivik. Je ne le vois pas comme un idéologue du négationnisme mais comme un dingue qui mélange tout et n'importe quoi dans sa petite tête.

Après il y a des cas de négationnisme qui ne relèvent ni de l'idéologie, ni du délire. Par exemple, un fils qui refuse de croire que les crimes de l'Unité 731 aient eu lieu car cela se remettrait en question l'image qu'il a de son père. J'imagine bien un honneur mal placé qui empêcheraient des familles de reconnaître l'existence ces crimes. Il n'y a pas d’idéologie, seulement l'impossibilité de pouvoir admettre que son père ou son grand-père soit un bourreau. Est-ce culturel ? J'ai l'impression - mais je peux tromper, je ne connais pas assez les deux sujets pour comparer, c'est vraiment juste une impression - que les familles de criminels de guerre allemands ont plus su accepter de regarder les actes de leurs pères que les descendants des japonais impliqués.

Aldaran a écrit :
Algernon a écrit :Bon, juste une question. Qui est Kirsten ?

L'un des personnages du roman Station Eleven, que m'a recommandé M 21 (la partie mâle des 42).

Je ne réponds pas au reste, poursuivre la discussion à ce stade ne ferait qu'enfoncer nos points de vues à chaque intervention.
Au plaisir de poursuivre celle-ci de vive voix un de ces quatre (j'aurai mon avatar sur le ventre lors des prochains croisements, si ça peut aider).

Je suis d'accord : à un certain stade, la discussion se fige et dans ce cas autant tenir un blog. Je ne suis pas certain qu'on se croise un jour mais si ça arrive je serai heureux de reprendre la palabre. Et puis j'espère que le prochain Une Heure-Lumière, quel qu'il soit, provoquera aussi réflexions et discussions.

Et n'hésite pas à donner ton avis sur Station Eleven, il n'est pas sur mes listes d'achats mais je ne demande qu'à changer d'avis.
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar ubikD » 29 septembre 2016 à 20:31

Algernon, j'ai une définition beaucoup plus restrictive que toi du négationnisme. D'où notre incompréhension mutuelle.
Mais, heureux d'avoir pu échanger avec toi.
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Re: L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu (août 2016)

Messagepar Razheem L'insensé » 30 septembre 2016 à 11:32

J'interviens très tardivement dans cette discussion (la faute aux gardes)

La novella de Liu, comme je l'expliquai dans ma critique, est extraordinaire dans le sens où elle s'interroge sans manichéisme sur la condamnation de crimes contre l'humanité.
Liu a l'intelligence de ne pas réduire le débat mais de l'élargir. Peut-on finalement condamner un peuple à la repentance pour des actes commis alors que ses membres n'étaient pas nés ? Doit-on le faire ?
Evan n'est pas forcément naïf, je suis de ceux qui pensent qu'il s'agit d'un idéaliste. Et je trouve ça beau.
Car d'un côté j'en suis un. Je ne peux arriver à comprendre ce qui pousse les gens à rejoindre Soral et compagnie, même si j'en ai parlé avec des gens qui les suivaient pour tenter de comprendre le pourquoi.
Ce que dis Ken Liu en substance, et Evan à travers lui, c'est qu'il faut confronter brutalement et sensoriellement une personne à l'atrocité pour que cette personne ne puisse plus l'ignorer, elle doit physiquement toucher du doigt l'horreur pour ne pas se dire "Ce n'est que des images d'infos, un article de journal...."
Je suis intimement convaincu qu'on mettrait des suiveurs de Soral dans Treblinka quelques jours physiquement, ils seraient bien moins fiers. Je ne parle évidemment pas de la portion d'ordures irrécupérables des négationnistes qui finissent juste le boulot comme dirait Pierre Jourde.

C'est en cela que la novella de Liu m'a impressionné, il sait à la fois faire la part des choses et offrir les deux visages de la compréhension (Japonais et Chinois) mais aussi expliquer bien au-delà du simple "Les Japonais sont des ordures, ils doivent payer".
J'ai énormément étudier les atrocités de ce genre, ça me passionne. Les camps nazi, l'unité 731, qu'est-ce qui peut pousser l'homme à l'horreur ? La simple haine ? C'est un peu simple non ?
On décrit toujours Hitler comme le diable en personne. Mais si, comme le montre excellemment La Chute, Hitler n'était qu'un simple homme, ni plus ni moins, et que chacun d'entre nous recelait un monstre au fond de lui ?
Après, même si je comprends ce qu'a voulu exprimer Thierry, je ne suis pas d'accord avec lui car c'est un peu l'argument du "C'est bien, tu as parlé de cette atrocité mais pas de celle-là"
Il y a aujourd'hui un besoin maladif d'exhaustivité qui mène au négationnisme. Combien de négationnistes ou de sympathisants négationnistes m'ont déjà dis : Mais on parle QUE des Juifs !
Alors qu'en fait, ils sont juste incultes historiquement parlant et sur ce qui existe.
Donc je suis au milieu. Comme Ubik, je crois que le négationniste tend à devenir une posture idéologique synonyme de rebellion contre le système, une pente très dangereuse et qui me dégoûte au plus haut point. Mais comme Algernon, je crois qu'il existe plusieurs échelons dans le négationnisme et plusieurs portes d'entrée, qui n'excuseront jamais, mais expliquent.

La novella de Liu reste un chef d'oeuvre pour ma part, pour les nombreuses raisons explicitées dans ma critiques mais aussi parce que l'auteur charge frontalement le négationnisme de façon idéaliste (et naïve selon certains) et que PUTAIN, ça fait du bien. On a besoin de personnes capable de se battre sur ce genre de sujet.
D'ailleurs....


"Les bourreaux dégoûtent, parce qu’ils sont des bourreaux. Mais il y a une catégorie de salauds qui, personnellement, me dégoûte encore plus. Ceux qui viennent après les bourreaux, et dénient aux victimes tout ce qui leur reste : le fait d’avoir été des victimes. Ceux qui viennent pour déclarer que la victime n’a pas souffert, qu’elle n’a pas été tuée, que tout ça, c’est de la blague, et qui en plus en font des blagues. Marrons-nous sur les douleur mortes. Ils finissent le boulot, quoi. Ces ordures-là se nomment Dieudonné et Soral, elles puent le ressentiment, la cruauté, l’indifférence, la satisfaction ricanante, elles répugnent au-delà de tout."

Pierre Jourde
Modifié en dernier par Razheem L'insensé le 02 octobre 2016 à 12:21, modifié 1 fois.

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