Kurt VONNEGUT - Look at the Birdie

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Kurt VONNEGUT - Look at the Birdie

Messagepar Nébal » 31 mai 2011 à 08:30

Kurt VONNEGUT, Look at the Birdie

[...] j’adore Kurt Vonnegut. Je l’adore depuis cette nuit à nulle autre pareille (ou presque : il y en eut bien une de comparable, mais c’était avec Le Procès de Kafka…) où j’ai découvert et dévoré, émerveillé, le fantabuleux Abattoir 5. Expérience prolongée avec succès sur d’autres titres du grand écrivain – Les Sirènes de Titan, Le Berceau du chat, Le Pianiste déchaîné, Le Breakfast du champion –, avec une seule fausse note, le très dispensable Un homme sans patrie. N’empêche, le reste, c’est que du bonheur. Une plume inimitable, mêlant naïveté et cynisme, une imagination débridée, beaucoup d’humour (noir, souvent, certes, mais de l’humour néanmoins)… tout ce qu’il me fallait.

Aussi, quand, au hasard d’une balade en librairie, je suis tombé sur ce Look at the Birdie (traduit peu après sous le titre Le Petit Oiseau va sortir, si je ne m’abuse), je me suis jeté dessus sans me poser la moindre question sur son contenu, sans même lire la quatrième de couv’. Il s’avère que ce recueil de nouvelles posthume contient en fait quatorze textes « de jeunesse », écrits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et restés inédits jusqu’alors. Des fonds de tiroir ? Pas à en croire une critique unanimement élogieuse, dont maints témoignages sont fournis par cette édition. J’en ai donc attaqué la lecture avec la plus grande confiance, heureux de retrouver une nouvelle fois cet écrivain que j’admire tant, mais dont je n’avais jusqu’alors jamais lu de textes courts.

Je passerai sur la préface laudative de Sidney Offit et sur la lettre de Kurt Vonnegut à Miller Harris (1951) – encore que cette dernière ne manque pas d’intérêt, et constitue une judicieuse introduction – pour aborder directement le vif du sujet.

On ouvre donc les hostilités avec « Confido » (pp. 7-20), nouvelle de science-fiction passablement fantaisiste, où un individu invente par hasard une petite machine constituant le confident ultime ; le problème est que le « Confido » est un peu concierge, et a une fâcheuse tendance à dire ce que l’on n’ose pas avancer en temps normal, ce qui fait ressortir le pire des individus… Sympathique. Mais on y trouve déjà un trait récurrent de ces brefs textes : leur caractère très moral (lourdement, parfois).

« FUBAR » (pp. 21-35 ; pour « fouled up beyond all recognition ») poursuit dans cette voie ; la nouvelle commence de manière très kafkaïenne – un employé d’une immense corporation relégué dans des bâtiments où il n’a pas sa place pour exécuter un travail absurde –, pour s’achever à la manière d’un « conte de fées réaliste ». Naïf, charmant, ça se lit sans déplaisir, mais on commence à se poser des questions…

« Shout About It from the Housetops » (pp. 37-49) tient un peu de la même veine que le texte précédent, mais avec plus de réussite. Ce texte, de même que « Confido » et que plusieurs autres par la suite, met en avant la thématique de l’hypocrisie, avec une certaine réussite. Mais on n’est pas encore pleinement convaincu, même si l’on trouve déjà davantage dans ce texte « réaliste » des traits du futur grand Vonnegut.

On passe à tout autre chose avec la plus longue nouvelle de ce recueil, « Ed Luby’s Key Club » (pp. 51-102), récit très hitchcockien – à base de faux coupable – narrant un cauchemar policier et judiciaire dans une ville gangrenée par la corruption. Ça se lit bien, mais sans plus, et le happy end interminable ne satisfait qu’à moitié…

On y préfèrera largement, malgré son ton à nouveau très moralisateur, « A Song for Selma » (pp. 103-119), récit assez amusant se moquant des tests de Q.I. et du déterminisme qu’ils semblent impliquer ; mais on peut aussi – c’est comme le verre à moitié vide… – y voir avant tout une ode au volontarisme finalement très américaine…

« Hall of Mirrors » (pp. 121-137) est une astucieuse nouvelle policière reposant sur l’hypnose. Sans doute un des textes les plus réussis du recueil, même si la chute laisse un peu sur sa faim. Mais la construction et le récit sont adroits.

« The Nice Little People » (pp. 139-149) est une petite nouvelle de science-fiction très convenue sur le thème du démiurge. On ne s’y attardera pas. Et on avouera qu’à ce stade, on n’a été que rarement convaincu par ce recueil, qui commence à passablement décevoir, ne s’élevant que rarement au-dessus du stade de la « médiocrité plus », ce qui est loin de correspondre à ce que l’on attend de Vonnegut…

« Hello, Red » (pp. 151-165) est ainsi un joli texte sur ce que c’est que d’être parent, plutôt bien ficelé, mais guère enthousiasmant pour autant, car à nouveau lourdement moral…

Si ce dernier défaut vaut également pour « Little Drops of Water » (pp. 167-183), ce texte n’en est pas moins plus convaincant, car là encore assez astucieux. Happy end à la clé, néanmoins.

C’est sans doute avec « The Petrified Ants » (pp. 185-202) que l’on se rapproche le plus du Vonnegut que l’on appréciera tant par la suite : beaucoup d’humour, beaucoup d’imagination, cela devrait a priori garantir un bon texte. Dommage que cette histoire de fourmis civilisées ne serve en définitive qu’à offrir une lourde parabole anti-communiste…

« The Honor of a Newsboy » (pp. 203-212) prend l’apparence d’un récit policier, mais ce n’est qu’un prétexte à l’éloge de l’honnêteté enfantine. Naïf et guère convaincant…

On retourne à quelque chose de plus intéressant avec « Look at the Birdie » (pp. 213-219), récit astucieux et efficace. Sans doute une des meilleures nouvelles du recueil éponyme.

« King and Queen of the Universe » (pp. 221-239), récit tragique – mais à nouveau très moral – sur la Grande Dépression, ne convainc à son tour qu’à moitié. Ce n’est pas mal fait, mais c’est tout de même un brin agaçant, cette overdose de bons sentiments sous laquelle croule la majeure partie du recueil…

Et ce n’est pas, malgré là encore une certaine astuce, « The Good Explainer » (pp. 241-251) qui va faire revenir sur ce jugement. Cette nouvelle à chute est à nouveau très morale, et sent même un peu mauvais…

Au final, il faut bien se rendre à l’évidence : malgré les louanges unanimes dont cet ouvrage ne manque pas de s’auto-congratuler, si ces textes étaient restés inédits jusqu’à présent, c’est qu’il y avait une raison… On peut bien lâcher le mot : oui, ce sont des fonds de tiroir. Ce n’est pas à proprement parler « mauvais », Vonnegut écrit bien, l’astuce narrative ne manque pas, mais c’est quand même un tantinet pénible à force de moralisme sirupeux. Tout cela sent effectivement les textes « de jeunesse », d’un auteur qui se cherche et ne s’est pas encore trouvé. À titre documentaire, pour les fans absolus (dont je pensais faire partie…), cela peut constituer un intérêt suffisant ; mais je ne cacherai pas pour ma part avoir été tristement déçu par ce recueil inabouti et souvent lourd. On est encore bien loin du grand Vonnegut, qui ne se dessine qu’à peine dans ces quatorze nouvelles. Autant dire qu’on pourra allègrement se passer de la lecture de ce Look at the Birdie : l’auteur a fait tellement mieux par la suite…

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