Note liminaire: cette critique a été rédigée le 2 octobre 2010 et postée sur un forum de fanatiques de westerns. Après réflexion, je n’y ai (presque) pas touché, me contentant d’actualiser quelques informations.
Voilà bien un film de nature à réconcilier les purs et durs du western américain et les amateurs de spaghetti. Quel thème est plus représentatif du western classique all’americana que le "cattle drive", la conduite d’un troupeau dans une nature hostile, avec des cow-boys virils et taciturnes, la chaude ambiance du feu de camp le soir et cette fraternité rentrée, mais latente, entre des hommes, des vrais…
Bon, j’arrête là le délire. S’il y a troupeau ici, il n’est pas composé de vaches mais de femmes. "Je veux mes cinquante femmes", exige Blindman (Tony Anthony) avec une ténacité digne d’éloges. Avec son pote Skunk, il s’est engagé à acheminer cinquante fiancées dans une mine où les attendent cinquante mineurs. Problème: Skunk mérite bien son nom ("Putois") et a vendu les cinquante charolaises… pardon, fiancées… il les a vendues, donc, à Domingo (Lloyd Battista), un bandido mexicain, qui veut apparemment les offrir à un général de ses amis (Raf Baldassare). La bande de Domingo, c’est le genre petite entreprise familiale, puisqu’il est secondé dans sa gestion par son frère Candy (Ringo Starr) et sa sœur Sweet Mama (Magda Konopka). Blindman retrouve la trace de Domingo, assiste à l’enlèvement de Pilar (Agneta Eckemyr) par Candy, et après, c’est plus résumable et pourtant j’ai fait des efforts.
La première fois que j’ai vu ce film, il y a quelques mois, j’étais pourtant prévenu puisque j’avais lu la notice hallucinante que lui consacre Jean-François Giré dans Il était une fois… le western européen. Mais rien ne peut vous préparer à ça.
D’abord, au cas où vous n’auriez pas bien lu le titre, qui est assez explicite, je précise que le héros est un pistolero aveugle. Sacré handicap. Comment il compense? Eh bien, comme la plupart des aveugles de la littérature, de la BD et du cinéma populaires, il a une ouïe, un odorat et un toucher super-développés. Daredevil City, si vous voyez ce que je veux dire et je crois que oui. Ensuite, il a une grosse, mais alors une GROSSE réserve de munitions et il tire jusqu’à ce que plus rien ne bouge autour de lui. Simple mais efficace. Sans compter qu’il ne dédaigne pas la dynamite.
Autre atout dans sa manche: il a un cheval d’aveugle. Si, si, c’est possible: imaginez Jolly Jumper qui aurait fait un stage dans un institut spécialisé. Et puis, il a une baïonnette qui lui sert aussi de canne blanche. Plus des accessoires high-tech comme une carte des USA en relief sur un morceau de cuir tanné. Bon, il est pas muet et il peut donc demander son chemin, ça aide aussi.
Alors, évidemment, les érudits vont me sortir Zaitochi, le moine sabreur aveugle, et c’est vrai que c’est une source d’inspiration évidente. Mais ce n’est pas tout. On l’aura compris à la lecture du résumé ci-dessus, Blindman est un film d’une sensibilité en avance sur son temps, particulièrement à l’écoute des thèses féministes. En d’autres termes, l’un des buts de l’opération est de montrer des femmes en petite tenue qui se font nettoyer au jet ou courent dans le sable avant de se faire courser, violenter et parfois tuer, le tout dans la joie et la bonne humeur.
Ai-je dit que ce film pourrait déclencher des crises cardiaques dans la rédaction de Télérama? Non, pas encore ? Eh bien, c’est fait.
Pour revenir à l’intrigue, ou ce qui en tient lieu: Blindman veut récupérer ses cinquante femmes, il exploite la faiblesse de Candy pour sa Pilar, il suscite chez Domingo et sa frangine une légère contrariété, et que ça y va pour les scènes de massacre et de torture, jusqu’à la bataille finale dans une ville fantôme où Blindman et Domingo s’affrontent à armes égales. Ou plutôt à handicap égal, grâce au cigare du général. Beurk.
Bon, pourquoi je vous escagasse les mirettes avec ce film politiquement incorrect ? Parce qu’il est super bien fait, voilà. Parce qu’il est représentatif de toute une tendance du cinéma dit d’exploitation, où le but est de s’amuser dans la provocation joyeusement assumée et dans la surenchère de mauvais goût. Ferdinando Baldi, petit maître du cinéma bis italien, a bénéficié ici de moyens conséquents, et ça se voit. Le film est fascinant ne serait-ce que par sa texture et sa beauté formelle (quoique, Baldi abuse un peu du zoom).
À considérer aussi, la personnalité de Tony Anthony. Acteur et producteur américain, il a pas mal tourné en Italie, notamment quatre westerns: Un dollar entre les dents (Un dollaro tra i denti) et Un homme, un cheval, un pistolet (Un uomo, un cavallo, una pistola), tous deux réalisés par Luigi Vanzi en 1967, et, l’année suivante, Lo straniero do silenzio, du même Vanzi--trois films où il campe une caricature de « l’Étranger » créé par Clint Eastwood, un anti-anti-héros, pour ainsi dire. Après Blindman, il a encore tourné deux westerns, où il jouait aussi les rôles de producteur et coscénariste, Pendez-le par les pieds (Get Mean, 1976) et Western (Comin’ at Ya, 1981), tous deux réalisés par Baldi. Le premier tient paraît-il du délire total, puisqu’on y trouve une infante d’Espagne, des Vikings et des Barbaresques, et le second est un film en 3D, avec une toute jeune Victoria Abril. Selon certaines sources, Anthony aurait abandonné le cinéma pour se reconvertir dans l’optique de précision, tirant profit des connaissances qu’il avait acquises en bricolant dans la 3D.
Question jeu d’acteur, Anthony est un adepte du gag contextuel--dans Un homme, un cheval, un pistolet, il passe tout le film à essayer d’allumer son cigarillo sans jamais y arriver--et du pince-sans-rire. Quand il lance une réplique, elle est en général totalement à côté de la plaque. Quand il se fend d’un sourire ravageur, il a une vraie tête à claques. Pour ce qui est de ses comparses au cas présent, Raf Baldassare est truculent à souhait, Ringo Starr nous la joue tourmenté mais sobre, Lloyd Battista un peu moins. Mention spéciale "glaçon" à Magda Konopka, impressionnante dans le rôle de Sweet Mama--rappel: on est au début des années 70, ce qui s’entend à la musique pétulante de Stelvio Cipriani (avec sitar, si, si).
L’appellation "film culte" est pas mal galvaudée de nos jours, mais Blindman la mérite amplement. JDB a dit: allez-y voir de plus près, de très près même.
Comment se procurer ce film ? Il y a eu diverses éditions DVD et/ou BluRay ces dernières années, mais aucune ne semble facilement disponible. Pas de pot. Guettez vos fournisseurs habituels.
Oui, je sais, c’est dur.
JDB
[Spagh:] Blindman, le justicier aveugle - Ferdinando Baldi (1971)
[Spagh:] Blindman, le justicier aveugle - Ferdinando Baldi (1971)
Modifié en dernier par JDB le 03 février 2025 à 19:18, modifié 2 fois.
"Passablement rincé", qu'il dit.
Re: Blindman, le justicier aveugle - Ferdinando Baldi (1971)
Pas un nanar, si j'ai bien compris, mais un film culte? En tout cas, ça donne envie :-D
Aparté: Starr devait être des sessions de l'album Imagine (de Lennon), mais il était donc occupé par le tournage de Blindman. Je présume que le binoclard ne lui en a pas trop voulu.
Aparté: Starr devait être des sessions de l'album Imagine (de Lennon), mais il était donc occupé par le tournage de Blindman. Je présume que le binoclard ne lui en a pas trop voulu.
Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. (B. Pascal)
So little time! So much to know! (Jeremy, in Yellow Submarine)
- Oh, Thorn, I want to live with you.
- Just live. (Soylent green)
So little time! So much to know! (Jeremy, in Yellow Submarine)
- Oh, Thorn, I want to live with you.
- Just live. (Soylent green)
Re: Blindman, le justicier aveugle - Ferdinando Baldi (1971)
Un détail qui me revient: parmi les figurants du film se trouvait un nommé Guillaume Thiberge. Étonnant, non?
JDB
JDB
"Passablement rincé", qu'il dit.
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