Un article du Figaro fait état des profonds bouleversements qui secouent le monde de l'édition : la traduction est mise entre les mains d'IA.
https://www.lefigaro.fr/medias/l-ia-a-v ... n-20240526
Comme je sais qu'on a beaucoup de traducteurs sur ce forum, je voulais savoir où vous en étiez ? Est-ce que le nombre de contrats diminue, sans que vous ne sachiez pourquoi ? Est-ce que le lien qu'entretient les maisons d'édition avec les traducteurs, dans les littératures de l'imaginaire, est plus fort ?
On peut lire, sur le site du traducteur Gilles Goullet, qu'une traduction pour un roman comme Spin lui a fait gagné 10600 €uros ; pour trois à quatre mois de travail, pour environ 500 pages, en non-poche. Si, demain, pour un abonnement de 300 €uros l'année, un service de traduction par IA, permet la traduction d'autant de romans que l'éditeur veut, et en plus immédiatement, sans délais d'attente, avec juste une relecture humaine, sur quelques entournures de phrases (même pas une toutes les 20 pages), quel éditeur (qui a de la traduction à faire) ne franchirait pas le pas ? Soyez honnête.
On peut lire dans les pages du Bifrost spécial IA, que le meilleur traducteur non humain, reste encore ChatGPT.
Ma voisine m'a passé un roman de son ami, écrit en allemand, et traduit en français par chat GPT. Résultat : A part trois phrases, sur 200 pages, c'est publiable en l'état...
Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
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- Vandale du vide
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Article sur le même sujet (malheureusement réservé aux abonnés) dans Libé :
https://www.liberation.fr/societe/educa ... KWJ64R5RU/
https://www.liberation.fr/societe/educa ... KWJ64R5RU/
Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Je l'avais senti venir depuis des années. En 2018 ou 2019, j'animais une table ronde sur le sujet aux Utopiales et tous les participants (y compris Frédéric Landragin) affirmaient que ça n'arriverait jamais. Comme je n'étais que modérateur, je n'ai pas trop osé aller à leur encontre, mais ce que j'aurais dû leur dire, c'est qu'ils avaient une vision idéaliste de la chose: oui, jamais une IA n'aura l'expérience, la pâte humaine, l'empathie d'un traducteur humain, qui fera œuvre créatrice même en étant d'une fidélité scrupuleuse.
Le problème, c'est qu'il y a des donneurs d'ordres qui vont à l'économie et qui préfèrent un travail mal fichu et mal payé à un travail de qualité mais trop cher à leurs yeux. Pour l'anecdote, Patrick Marcel, qui est un fan des Simpson, vitupérait régulièrement contre les sous-titres de merde dont la série était affligée en France.
Car des gâcheurs de métier, il y en a aussi chez les humains. "C'est assez bon pour ces veaux", se disent-ils, et basta.
Personnellement (égoïstement, même), je ne cours plus après le contrat donc je ne suis pas affecté. Les collègues plus jeunes ont du mouron à se faire.
JDB
PS: les chiffres donnés par Gilles Goullet recoupent mon expérience. Le plus dur dans ce boulot, c'est d'avoir du boulot assuré pour les six (ou neuf, ou douze...) mois à venir. Si on a affaire à des éditeurs honnêtes, si on fait du bon travail, si on le rend dans les délais et si on ne suscite pas de conflits (bref, si on est capable, fiable et aimable), on s'en sort--enfin, on s'en sortait...
Le problème, c'est qu'il y a des donneurs d'ordres qui vont à l'économie et qui préfèrent un travail mal fichu et mal payé à un travail de qualité mais trop cher à leurs yeux. Pour l'anecdote, Patrick Marcel, qui est un fan des Simpson, vitupérait régulièrement contre les sous-titres de merde dont la série était affligée en France.
Car des gâcheurs de métier, il y en a aussi chez les humains. "C'est assez bon pour ces veaux", se disent-ils, et basta.
Personnellement (égoïstement, même), je ne cours plus après le contrat donc je ne suis pas affecté. Les collègues plus jeunes ont du mouron à se faire.
JDB
PS: les chiffres donnés par Gilles Goullet recoupent mon expérience. Le plus dur dans ce boulot, c'est d'avoir du boulot assuré pour les six (ou neuf, ou douze...) mois à venir. Si on a affaire à des éditeurs honnêtes, si on fait du bon travail, si on le rend dans les délais et si on ne suscite pas de conflits (bref, si on est capable, fiable et aimable), on s'en sort--enfin, on s'en sortait...
"Passablement rincé", qu'il dit.
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Le_déchronologue a écrit :Ma voisine m'a passé un roman de son ami, écrit en allemand, et traduit en français par chat GPT. Résultat : A part trois phrases, sur 200 pages, c'est publiable en l'état...
Le texte français est correct, OK, mais qu'est-ce qui garantit sa fidélité par rapport au texte allemand d'origine ? L'IA n'a-t-elle pas trop interprété ?
Pour prendre l'exemple de Kafka, qu'on a trop traduit "à la française" suivant Milan Kundera, est-ce qu'une éventuelle limitation de vocabulaire et un usage délibéré des répétitions a été correctement restitué, ou l'IA a-t-elle écrasé l'originalité stylistique du texte de départ ?
Niveau texte de science-fiction (ou de fantasy), qu'est-ce qui garantit la continuité dans la traduction des néologismes (voire des noms propres), dans le même texte voire d'un texte à un autre ? L'IA n'a-t-elle pas traduit, par exemple, "starmaker" par "faiseur d'étoiles" page 10, puis par "forgeur d'étoiles" page 20, puis par "étoileur" page 30 ? (Je dis n'importe quoi, hein, c'est juste un exemple.)
Pour toutes ces raisons, je vois mal comment un éditeur sérieux pourrait se passer a minima d'une révision de la traduction "made by IA" par un traducteur ou une traductrice de chair et d'os.
JDB a écrit :oui, jamais une IA n'aura l'expérience, la pâte humaine, l'empathie d'un traducteur humain, qui fera œuvre créatrice même en étant d'une fidélité scrupuleuse.
Pour reprendre la célèbre formule, les traducteurs et traductrices de chair et d'os trahissent peut-être, mais au moins, leur traduction / trahison est faite avec style... Avec l'IA, on risquerait d'assister à un nivellement des textes qui nous empêcherait de mesurer la force d'une oeuvre traduite (si tout est traduit pareil, qui sortirait du lot ?)
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- Vandale du vide
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Weirdaholic a écrit :Le_déchronologue a écrit :Ma voisine m'a passé un roman de son ami, écrit en allemand, et traduit en français par chat GPT. Résultat : A part trois phrases, sur 200 pages, c'est publiable en l'état...
Le texte français est correct, OK, mais qu'est-ce qui garantit sa fidélité par rapport au texte allemand d'origine ?
Les éditeurs commerciaux s'en fichent.
A moins de représenter un travail dont le sérieux, comme la bibliothèque de La Pléïade, est le but, quand ton objectif est de faire de la rentabilité, si le texte à l'arrivée, paraît coller, on va pas dépenser plus qu'un relecteur humain.
Et la rentabilité c'est ce à quoi tu dois penser pour survivre dans un monde capitaliste.
Quand un traducteur te coûte 10600 €uros pour traduire le dernier K. S. Robinson ; et qu'à côté t'as la solution : IA, plus un relecteur humain qui mettra trois jours, et surtout ne coûtera que 150 €uros, je dis une chose,
c'est que je vais plus loin encore, c'est que les éditeurs qui feront encore appel à des traducteurs humains vont couler. Point.
Oui, les coût seront trop monstrueux, et de nouvelles maisons d'éditions vont apparaître, s'adapter, et pendant que tu te poses la question de savoir si tu traduis le dernier Robert Charles Wilson, un concurrent l'aura déjà sorti, traduit à la vitesse de l'éclair par une IA et son relecteur humain.
* * *
Votre exemple, de savoir si l'IA traduit faiseur d'étoile ou étoileur, pour l'éditeur, ça vaut pas le 10600 €uros, pour l'éditeur. Un relecteur humain à 150 €uros suffit.
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Moins il y a de coûts, mieux c'est, et j'en suis la preuve : j'étais relecteur pour Le Bélial, je cherchais les fautes d'orthographe dans la collection UHL et Parallaxe. Et bien depuis qu'ils ont trouvé leur logiciel nommé Antidote, zip zap.
Donc, quand ils auront trouvé leur logiciel de traduction IA, zip zap les traducteurs humains.
(Et même, ça leur est égal qu'il reste plein de fautes d'orthographe dans le Bifrost, par exemple (cf, mon message resté sans réponse à Erwann Perchoc) ; donc tu penses bien que le faiseur d'étoile devenu étoileur, ils s'en fichent)
* * *
De toute façon, l'article du Figaro le démontre bien : les traducteurs sont en train de disparaître, corps & âme.
- Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Le_déchronologue a écrit :
Oui, les coût seront trop monstrueux, et de nouvelles maisons d'éditions vont apparaître, s'adapter, et pendant que tu te poses la question de savoir si tu traduis le dernier Robert Charles Wilson, un concurrent l'aura déjà sorti, traduit à la vitesse de l'éclair par une IA et son relecteur humain.
C'est plus compliqué que ça, par exemple tous les contrats aujourd'hui ou presque avec un auteur étranger nous interdisent d'utiliser une IA pour la traduction. Une autrice m'a imposé son traducteur. Une autre m'a imposé un sensitive reader en sus du traducteur. Un autre m'impose de pouvoir relire sa traduction française et refuse de me donner un délai raisonnable pour cette relecture. Ce à quoi je lui rétorque que je lui laisse un mois que ça lui plaise ou non. Visiblement ça a clos le débat.
A l'instant T (l'avenir lointain, c'est autre chose, je serai à la retraite, ça ne me concernera plus) il n'y a aucune révolution à ce niveau-là.
GD
Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Pour compléter ce que dit Gilles, un autre Gilles (Goullet) nous a montré (à quelques traducteurs et à moi-même) un contrat récent où il était stipulé qu'il ne devait pas avoir recours à une IA. J'ignore si c'était une initiative de l'auteur ou de l'éditeur.
Quant aux écrivains anglophones qui affirment savoir le français, méfiance.
Il y a longtemps, dans les années 1980, alors que je travaillais pour Albin Michel (traducteur et lecteur d'édition), on m'a raconté qu'une grande dame des lettres anglo-saxonnes (de mémoire, Nadine Gordimer), qui relisait ses traductions, a signalé une bourde qui n'en était pas une: elle ignorait tout simplement que l'expression "mer d'huile" désignait une mer calme et affirmait qu'elle n'avait jamais écrit qu'il y avait de l'huile dans l'étendue d'eau où se déroulait la scène.
JDB
Quant aux écrivains anglophones qui affirment savoir le français, méfiance.
Il y a longtemps, dans les années 1980, alors que je travaillais pour Albin Michel (traducteur et lecteur d'édition), on m'a raconté qu'une grande dame des lettres anglo-saxonnes (de mémoire, Nadine Gordimer), qui relisait ses traductions, a signalé une bourde qui n'en était pas une: elle ignorait tout simplement que l'expression "mer d'huile" désignait une mer calme et affirmait qu'elle n'avait jamais écrit qu'il y avait de l'huile dans l'étendue d'eau où se déroulait la scène.
JDB
"Passablement rincé", qu'il dit.
- appiantiqua
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
A terme, il est illusoire s'espérer protéger une profession par quelque moyen que ce soit ...
Personne n'a réussi a bloquer le développement de la voiture, du train ou de l'avion pour sauver le métier de cocher de diligence.
Comme évoqué justement plus haut,la transition se fera naturellement avec le vieillissement puis passage à la retraite des traducteurs encore en activité.
Personne n'a réussi a bloquer le développement de la voiture, du train ou de l'avion pour sauver le métier de cocher de diligence.
Comme évoqué justement plus haut,la transition se fera naturellement avec le vieillissement puis passage à la retraite des traducteurs encore en activité.
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- Vandale du vide
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :
C'est plus compliqué que ça, par exemple tous les contrats aujourd'hui ou presque avec un auteur étranger nous interdisent d'utiliser une IA pour la traduction.
GD
Mais alors quid de l'article du Figaro qui s'intitule :
.L’IA a volé mon travail du jour au lendemain» : ces traducteurs et doubleurs déjà remplacés dans le monde de l’édition
Faut-il croire que certaines maisons fonctionnent sans cette interdiction d'utiliser l'IA ? Bravent cet interdit ?
- Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
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Re: Traduction : L’IA a volé mon travail du jour au lendemain
Le_déchronologue a écrit :Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :
C'est plus compliqué que ça, par exemple tous les contrats aujourd'hui ou presque avec un auteur étranger nous interdisent d'utiliser une IA pour la traduction.
GD
Mais alors quid de l'article du Figaro qui s'intitule :.L’IA a volé mon travail du jour au lendemain» : ces traducteurs et doubleurs déjà remplacés dans le monde de l’édition
Faut-il croire que certaines maisons fonctionnent sans cette interdiction d'utiliser l'IA ? Bravent cet interdit ?
Comme je disais, c'est compliqué, ça dépend des auteurs, des contrats, des langues, etc.
Et surtout c'est en train de changer. Là, maintenant.
En fait, le cadre contractuel est en évolution, l'IA est acceptée en tant qu'outil (aide à la traduction) dans de plus en plus de cas, mais elle ne remplace pas le traducteur. Après j'imagine qu'il y a des contrats ou ce n'est pas mentionné donc de fait permis, puisque le droit fonctionne ainsi.
Un éditeur US a fait traduire un livre étranger par ChatGPT et d'après lui, avec seulement dix corrections (contresens faux-sens) le livre était publiable.
A mon avis, là où ça risque de faire très mal très vite c'est sur la non-fiction, les produits dérivés.
Après, une fois que vous aurez lu Nexus de Yuval Noah Harari, vous comprendrez que c'est juste une goutte d'eau dans l'océan de trucs que va bouleverser l'IA, pas dans cinq ans, mais à partir de maintenant.
C'est un des nombreux trucs qui va devenir à deux vitesses, il y aura les auteurs non-traduisibles par IA car ils s'y opposent contractuellement (et ont donc le poids pour le faire) et ceux à qui on ne laissera pas le choix.
GD