Messagepar JDB » 20 septembre 2023 à 17:13
Et hop! Merci à la généreuse abonnée, qui a profité de son droit à partager cinq articles par mois avec des amis.
Elle s’appelle Michelle, travaille en hauteur planquée sur un arbre de l’archipel des Chelbacheb, à l’est des Philippines, dans un décor de corail, de forêt tropicale et de lacs. Sirène aujourd’hui (avec des ailes), singe Siamang hier, il est ici banal de s’offrir de nouveaux corps. Michelle joue les enquêtrices, fouinant dans les archives électroniques à l’aide d’araignées fureteuses et de logiciels de reconnaissance de personnes. «Une étonnante quantité de ces données avait survécu à la Guerre luminique – ce n’étaient pas des cibles prioritaires et, si elles avaient été affectées, on avait remis en ligne des copies de sauvegarde.» Elle est ravitaillée par un chef coutumier âgé de plus de 200 ans. Son amoureux, mort, revient régulièrement la harceler de ses assiduités, après avoir ressuscité à chaque fois grâce au stockage de ses données. Ici, l’humain perdure. Autrefois, dans ce qui correspond à notre époque, on mourrait, point barre. C’est ce qu’on appelle une «vraiemort», et quand Michelle en parle, on en perçoit toute la valeur perdue. Et c’est de renversement de valeurs – la mort, le travail, la famine – dont parle aussi la Peste du léopard vert.
Un mystérieux sac de sport noir
Le commanditaire de Michelle, qui travaille à une biographie de Jonathan Terzian qui a conçu le fondement théorique de leur civilisation, lui a demandé d’investiguer sur la période où il a disparu trois semaines durant. Quand il est réapparu à Venise, plutôt que le discours prévu, le philosophe a présenté la première version de sa révolutionnaire Théorie de la Corne d’abondance. Que s’est-il passé entretemps ? Dans un univers joliment exotique, à des siècles du nôtre, Walter Jon Williams (Câblé, Plasma, la chute de l’empire Shaa, le Coup du cavalier), a emballé un thriller assez classique : le meurtre d’un biochimiste place Dauphine à Paris qui inaugure une course-poursuite avec des malfrats balourds originaires de Transnistrie, micro-Etat non reconnu après avoir fait sécession avec la Moldavie. Terzian fuit avec Stephanie Pais, la complice du biochimiste assassiné, de Paris en Provence jusqu’à l’Italie, accompagné d’un mystérieux sac de sport noir. «“S’agit-il d’une arme?” demanda-t-il. Elle ne sembla nullement surprise. “Non, exactement le contraire.” Elle tira sur sa cigarette et exhala un nuage de fumée. “C’est un antidote. Un antidote à la folie humaine.»
On apprend que la Moldavie a travaillé à un projet intitulé «Goret vert», une tentative de rendre des cochons dodus en les parquant au soleil, inspiré de l’autonomie plantaire. Le sac contient en effet une biotech, solution à la faim dans le monde, virus génétiquement modifié susceptible de permettre aux humains de photosynthétiser leur nourriture. La novella oscille entre les recherches de la sirène et l’histoire de Terzian et ces trois semaines de blanc dans sa vie qui changèrent le monde… Après un début lent, elle prend de l’ampleur, fomentant une révolution grâce à une rencontre qui en sera le déclic. Michelle la sirène l’expliquerait par l’amour. Bon novelliste, Walter Jon Williams a remporté le Nebula 2005 pour ce texte qui ne manque pas non plus d’humour et qui bitche gentiment la France. «En France, dit Terzian, “intellectuel” est une profession. Il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme, c’est juste une activité.»
Walter Jon Williams, la Peste du léopard vert, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Daniel Brèque, Le Bélial «Une heure lumière», 136 pp., 10,90 € (ebook : 5,99 €).
JDB
"Impliqué en permanence", qu'il dit.