"Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

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Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire » 23 mai 2023 à 06:46

ubikD a écrit :Sinon, a-t-on des données fiables sur le sujet, autre que le ressenti d'un éditeur, aussi respectable soit-il, se lamentant sur le déclin de la littérature (et de la civilisation) dans le Figaro ? Avant de se lancer dans des croisades tout azimut, ça peut avoir son importance, non ?
*

Je vais essayer de répondre sérieusement à la question.

Liminaire 1 : je mets de côté la dimension politique citée par Herbefol, non pas parce qu'elle n'est pas intéressante, mais disons que 1/je ne crois pas que ce soit le sujet ouvert par Gallmeister 2/ je ne me sens pas particulièrement pertinent sur le sujet.
Liminaire 2 : je ne me sens pas pertinent non plus pour parler d'un éventuel déclin de la littérature, je vais en rester à ce que je connais...

Je reçois beaucoup de manuscrits étrangers (disons un millier par an) et via Anne Michel, ma patronne et éditrice d'un certain Stephen King, je ne crois pas passer à côté de beaucoup de choses "importantes", ce que les agents appellent leur "highlights". Depuis un bon moment maintenant (ça a commencé, je travaillais encore chez Denoël), il y a une exclusion manifeste des auteurs blancs de 50-60 ans hétérosexuels, je pense que le phénomène est complexe et ne se réduit pas aux méchants éditeurs woke qui ne veulent plus publier de pères de famille boomers. Mais pour moi, c'est manifeste. Le phénomène est nourri par les attentes d'un certains lectorat, qui finissent par primer sur les attentes du vaste et varié lectorat (ce qui est paradoxal). Les agents mettent en avant un certain type d'auteurs, les maisons d'édition mettent en avant un certain type d'auteurs et le combat politique d'une partie du lectorat alimente le phénomène. Je généralise, grossis le trait, et dans les faits c'est bien plus nuancé/complexe que ça. Mais au final la littérature en sort perdante, c'est mon point de vue et je l'assume.

Aujourd'hui deux soumissions sur trois sont présentées ainsi.

"Un formidable roman pour les lecteurs de Emily St John Mandel et Becky Chambers.
[résumé]
[Présentation de l'auteur]
[nom] est née à [ville exotique]. Iel a habité à New York, Varsovie et Papeete. [titre] est son premier roman."

J'ai vu : "D'ascendance ashkenaze par sa mère et chinoise par son père, [nom] enseigne la littérature à l'université de [ville américaine]."

Déjà, dès qu'Emiliy St John Mandel n'est pas citée, je suis plus curieux ; j'ai rien contre Emily St John Mandel, mais visiblement c'est la seule autrice que connaissent les agents dès qu'ils ont par malheur pour eux un truc bizarre à fourguer.

Les habitudes ont la vie dure et ce qui m'intéresse avant tout ce sont les textes, et personnellement je me fous qu'ils aient été écrit par une nonne juive unijambiste (ou un bon père de famille de 55 ans) si ils sont bons. Le problème, c'est que les agents (de mon point de vue) passent leur temps à nous vendre/mettre en avant des chefs d’œuvre qui n'en sont pas. C'est lassant (pour ne pas dire décourageant), ça fait perdre un temps fou et on finit par passer à côté des trucs qui valent vraiment le coup et qui étaient reléguées page 98/102 du catalogue de Francfort.
Bon, il reste d'excellents agents, ce sont plutôt ceux qui ne m'envoient qu'un ou deux livres par an en disant "c'est pour toi" ou c'est déjà arrivé : "l'auteur a vu ta liste et voudrait beaucoup être à ton catalogue".

Je ne refuse pas un excellent livre car l'auteur serait homosexuel, trans, noir, asiatique, en fauteuil roulant ou que sais-je, mais a contrario je ne prends pas un mauvais livre car au magic loto l'autrice/auteur aurait coché trois cases gagnantes, queer, noir et handicapé, par exemple, ce qui en ferait un client bankable.

De ce que je vois de ma position chez Albin Michel, c'est que ces livres ouvertement queer/woke/diversifiés ne se vendent pas plus que les autres et dans nos domaines, plutôt moins à dire vrai (étudiez un dégressif de ventes annuel, vous verrez qui occupe les dix premières places). Ce que je vois surtout, ce sont des livres de plus en plus "fabriqués", jusqu'ici c'était plutôt l'apanage du Young Adult, magnifique usine à navets, mais là l'imaginaire est bien touché, espérant qu'on ne joue pas à la bataille navale.

J'ai beaucoup de mal à acheter des livres depuis deux ou trois ans, je ne crois pas que mes goûts aient (beaucoup) changé ou que mes critères de qualité aient fondamentalement augmenté, juste je glisse de déception en déception, mes auteurs prennent du retard comme Shaun Hamill dont j'attends le nouveau roman depuis plus d'un an. Pareil du côté des francophones où tout le monde (ou presque) a pris beaucoup de retard (effet post-covid ?). Je crois que c'est la première fois de ma vie d'éditeur j'ai 6 ou 7 titres en portefeuille (donc des livres achetés non encore publiés), il m'en faudrait le double pour être un peu serein, mais pour le moment les 6 livres qui me manquent ne sont pas passés entre mes mains, ne sont pas terminés ou ont été achetés par d'autres éditeurs à des prix qui me semble déconnectés des réalités du marché. Pour dix offre que je fais en fantasy, au final je récupère un titre, et souvent de haute-lutte.
Là, il y a encore quelques jours, j'étais résigné à ne pas avoir de titre en février 2024, et puis au final je vais peut-être avoir quelque chose, j'ai eu un coup de cœur, il faut maintenant "contractualiser" la chose.

Personnellement je crois en la véritable diversité, et c'est pour ça que j'accueille dans mon catalogues des auteurs aussi divers que Neal Stephenson, Elly Bangs, Tochi Onyebuchi, Emilie Querbalec, Sam J. Miller, Caitlín R. Kiernan et tant d'autres.

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Messagepar Herbefol » 23 mai 2023 à 07:24

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :il y a une exclusion manifeste des auteurs blancs de 50-60 ans hétérosexuels

Pour rebondir dans le sens de la remarque d'ubikD : est-ce que tu n'en reçois plus aucun ou nettement moins qu'avant ? La question suivante étant alors : est-ce que cette population n'a pas tout simplement été réduite à ce quelle représente vraiment, à savoir une minorité de la population, alors qu'avant elle représentait une partie importante (nettement plus que sa représentation dans la population générale) de la production littéraire ?
Parce que ça n'est quand même pas trop un mystère que jusqu'à récemment, être un membre du groupe dominant la société (à savoir masculin, blanc, etc.) ça facilitait grandement les choses pour réussir dans le milieu artistique. Ou dans les entreprises. Ou en politique. Etc.
Je n'ai pas la réponse à ces questions, tout simplement parce que je n'ai pas de données un peu fiables sur le sujet. Et comme le signale très bien ubikD, les impressions au doigt mouillé c'est un peu le degré zéro de l'étude sérieuse.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire » 23 mai 2023 à 07:55

Herbefol a écrit :
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :il y a une exclusion manifeste des auteurs blancs de 50-60 ans hétérosexuels

Je n'ai pas la réponse à ces questions, tout simplement parce que je n'ai pas de données un peu fiables sur le sujet. Et comme le signale très bien ubikD, les impressions au doigt mouillé c'est un peu le degré zéro de l'étude sérieuse.


En tout cas en France, il ne peut pas y avoir de statistiques sur le sujet puisque c'est interdit par la loi.
Je ne sais pas s'il y a des statistiques aux USA sur le sujet (je doute parce que c'est trop complexe comme problématique, tout ne se vaut pas et on ne peut pas comparer des auteurs de notoriétés différentes, avec une dimension commerciale différente, etc), ce que je sais par contre, c'est qu'un certain nombre d'auteurs qui étaient encore publiés/soutenus il y a dix ans, ne le sont plus et ont jeté l'éponge ou sont passés à l'auto-édition.
Certains sont des amis.
Et quand je leur demande pourquoi, la réponse est toujours la même : "mon agent n'arrive plus à placer mes livres chez les éditeurs" ou variante "mon agent est mort et par conséquent l'agence où je me trouvais ne me représente plus" ou "les conditions qu'on me propose ne me conviennent pas, notamment l'absence totale de plan marketing".
Certains de ces bouquins sont excellents, mais il m'est impossible d'en acquérir les droits, car il n'y a rien sur lequel s'appuyer : blurbs, chiffres de vente US, presse, etc. Tu pars à l'abattoir direct.
Après je travaille dans une grande maison, ma patronne a un patron ; une petite maison fait ce qu'elle veut, encore faut-il qu'elle ait connaissance de l'existence des romans en question.

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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar JDB » 23 mai 2023 à 08:25

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :...
Après je travaille dans une grande maison, ma patronne a un patron ; une petite maison fait ce qu'elle veut, encore faut-il qu'elle ait connaissance de l'existence des romans en question.

GD

Un peu hors-sujet mais pas trop: je mets ça en parallèle avec un éditeur américain comme Subterranean Press, qui publie régulièrement des livres d'auteurs vétérans comme Michael Swanwick, Walter Jon Williams, Tim Powers, etc, voire défunts: c'est là qu'ont été publiés pas mal de livres de Lucius Shepard, dont deux posthumes, et vient de sortir un recueil de James Tiptree, Jr.
Bien sûr, ils s'agit de beaux livres, assez coûteux. Selon toute apparence, ils ne sont pas édités en poche, mais parfois en e-books.
Bref, j'ai l'impression que la SF/fantasy jugée "ancienne" est en train de devenir un marché de niche, si ce n'est pas déjà fait. Un marché réservé aux lecteurs aisés. Perso, j'ai acheté tous les Shepard, mais dans le recueil de Tiptree je connais déjà tous les textes sauf deux ou trois, alors je passe.
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire » 23 mai 2023 à 08:45

JDB a écrit :Un peu hors-sujet mais pas trop: je mets ça en parallèle avec un éditeur américain comme Subterranean Press, qui publie régulièrement des livres d'auteurs vétérans comme Michael Swanwick, Walter Jon Williams, Tim Powers, etc, voire défunts: c'est là qu'ont été publiés pas mal de livres de Lucius Shepard, dont deux posthumes, et vient de sortir un recueil de James Tiptree, Jr.
Bien sûr, ils s'agit de beaux livres, assez coûteux. Selon toute apparence, ils ne sont pas édités en poche, mais parfois en e-books.
Bref, j'ai l'impression que la SF/fantasy jugée "ancienne" est en train de devenir un marché de niche, si ce n'est pas déjà fait. Un marché réservé aux lecteurs aisés. Perso, j'ai acheté tous les Shepard, mais dans le recueil de Tiptree je connais déjà tous les textes sauf deux ou trois, alors je passe.
JDB


C'est très pertinent en fait... Pour moi, il n'y a pas de complot, c'est juste un faisceau de choses, de nouvelles habitudes qui fait que les éditeurs vont mettre 100 000 euros de marketing sur un premier roman pas terrible écrit par Bidule (qui est magnifique en photo, queer et qui a grimpé l’Annapurna sur une jambe), alors que Truc qui est dans la maison depuis trente ans va lentement mais sûrement glisser dans le néant.
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Albumine Tagada » 23 mai 2023 à 09:35

Une petite question annexe : est-ce que ces nouveaux auteurs/titres mis en avant par les agents sont véritablement moins bons que d'autres ? ou bien est-ce que l'aspect marketing desdites mises en avant, axées sur la bio/sexualité/orientation de l'auteur ne finit pas par agacer les éditeurs (en tout cas en France, où on a tendance à se méfier de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à de la "discrimination positive") et par teinter leur lecture ?
C'est peut-être également l'effet "nouvelle génération". En voulant artificiellement créer un renouveau de la SF, on met beaucoup d'auteurs débutants en avant, avec tous les défauts que peuvent contenir des premiers romans ?

Parce que le risque de ce type de sujets opposant deux masses sociales vaguement définies mais vite essentialisées - en gros boomers/millenials ou LGBT+/hétéro, c'est qu'on en vienne à rejouer le psychodrame sad/rabid puppies, avec toute la panique morale qu'elle implique (à moins de considérer que le nazi Vox Day était un lanceur d'alerte, mais alors là... pas glop !)
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire » 23 mai 2023 à 10:11

Albumine Tagada a écrit :Une petite question annexe : est-ce que ces nouveaux auteurs/titres mis en avant par les agents sont véritablement moins bons que d'autres ?


De mon point de vue, ce qui est mis en avant depuis quelques années c'est vraiment pas terrible, et d'ailleurs quand c'est bien, ça monte tout de suite très haut. Je suis souvent effaré par les offres finales où il faut vendre 12-15000 exemplaires pour amortir l'à-valoir et encore si tu n'ajoutes pas 10 000, 20 000 euros de marketing. Dans nos genres, c'est quand même l'exception, pas la règle. Donc, c'est mathématique, si sur une année t'en as eu quatre qui sont montés aussi haut, trois (voire les quatre) vont se gaufrer.
Il y a plein de truc agaçants, on t'envoie les quarante premières pages d'un roman "fantasy queer" en te disant : "il faut faire une offre avant mardi prochain".
J'en reçois quasiment tous les jours des trucs/diktats improbables comme ça. En fait, c'est dur de trouver des livres qui se distinguent vraiment, où on sent qu'il y a quelque chose de formidable sous la couverture du marketing.

Franchement, à ce point, je crois que j'ai dit ce que j'avais à dire.

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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Weirdaholic » 23 mai 2023 à 11:35

Razheem L'insensé a écrit :À savoir que ce qui devient rédhibitoire pour moi, c'est de promouvoir/vendre un roman en le réduisant à un aspect militant comme une sorte de porte-étendard vulgaire et grossier.
Quand je lis la quatrième de couverture du Marlon James, on ne présente pas le roman comme l'histoire d'un guerrier noir homosexuel qui va devoir dépasser les tabous et interdits des siens et les combattre. On me parle de l'histoire elle-même, on m'explique qui est Traqueur et on ne le réduit pas au "gay" de service.


Je t'avais bien compris, t'inquiète - Marlon James a en effet échappé à l'argumentaire pataud... (Après, je ne suis pas plus fan de l'argument Trône de fer africain employé par certains, ni de la comparaison avec le Wakanda.)

Ceci dit, je pense que le vrai sujet, et ça me semble aussi ressortir des propos de Gilles, c'est de séparer le contenu du contenant, ou plus précisément le livre de la façon dont il est vendu.

Razheem L'insensé a écrit :Et pour le Eva D.Serves, bien joué. C'est exactement l'un des derniers argumentaires que j'ai vu passé où, dans le machin concocté pour promouvoir de livre, j'avais aucune idée de quoi ça parlait vraiment par contre, c'était une vraie liste de course de thèmes militants. Un repoussoir total.


Je ne suis pas archi-fan de la façon dont l'éditeur vend le truc non plus (ça au moins eu le mérite de retenir mon attention). Par contre, je me moque un peu de l'argumentaire, je me décide sur l'incipit du roman, et là, comme il est bien, je lirai le bouquin (je ne l'aurais pas lu si je ne l'avais pas aimé, même si l'histoire me parlait).

Autrement dit, en tant que lecteur (ND), je suis à peu près sur la même ligne que Gilles :

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Les habitudes ont la vie dure et ce qui m'intéresse avant tout ce sont les textes, et personnellement je me fous qu'ils aient été écrit par une nonne juive unijambiste (ou un bon père de famille de 55 ans) si ils sont bons.


Ca ne m'empêche pas, comme Gilles là encore, d'être sensible à la "diversité" (une littérature qui ne parlerait que d'une catégorie de personnes serait sans doute malade) :

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Personnellement je crois en la véritable diversité, et c'est pour ça que j'accueille dans mon catalogues des auteurs aussi divers que Neal Stephenson, Elly Bangs, Tochi Onyebuchi, Emilie Querbalec, Sam J. Miller, Caitlín R. Kiernan et tant d'autres.


En fait, j'ai plutôt l'impression qu'on est en train d'assister à une sorte de rééquilibrage : on a trop insisté dans un sens, maintenant on insiste trop dans l'autre...

Je veux dire qu'il est fort probable qu'avant, il y avait autant de manuscrits "minoritaires", c'est juste que maintenant les agents les font monter un peu plus haut dans leur processus de sélection - peut-être trop.

Par contre, comme le souligne Gilles il y a un vrai paradoxe en ce que le lectorat neuroqueer (pour condenser les minorités en une expression bien pratique) doit représenter 10% du lectorat à tout casser, et que ce lectorat-là ne veut pas forcément ne lire que des bouquins qui leur ressemblent - les agents ne choisissent donc pas forcément la bonne stratégie (si tant est qu ce soit concerté).

Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Le phénomène est nourri par les attentes d'un certains lectorat, qui finissent par primer sur les attentes du vaste et varié lectorat (ce qui est paradoxal).


Sinon, pour information, l'argumentaire suivant n'est pas neuf, Boris Vian le dénonçait déjà dans En avant la zizique :


Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :Aujourd'hui deux soumissions sur trois sont présentées ainsi.

"Un formidable roman pour les lecteurs de Emily St John Mandel et Becky Chambers.
[résumé]
[Présentation de l'auteur]
[nom] est née à [ville exotique]. Iel a habité à New York, Varsovie et Papeete. [titre] est son premier roman."

J'ai vu : "D'ascendance ashkenaze par sa mère et chinoise par son père, [nom] enseigne la littérature à l'université de [ville américaine]."


Dans quelle mesure les agents se réfugient dans un truc éprouvé parce qu'ils ne savent pas comment vendre un roman ?

(Et dans quelle mesure donc une partie du phénomène leur est imputable, en ce qu'ils seraient passé de "on filtre tout" à "on filtre rien du tout" ?)

Après, comme le rappelle Herbefol, il faudrait avoir des données sur le sujet pour éclaircir vraiment tout ça :

Herbefol a écrit :
Gilles Dumay - Albin Michel Imaginaire a écrit :il y a une exclusion manifeste des auteurs blancs de 50-60 ans hétérosexuels

Je n'ai pas la réponse à ces questions, tout simplement parce que je n'ai pas de données un peu fiables sur le sujet. Et comme le signale très bien ubikD, les impressions au doigt mouillé c'est un peu le degré zéro de l'étude sérieuse.
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Weirdaholic » 23 mai 2023 à 11:43

Ah, je viens de trouver un lien vers un index de la diversité dans les publications aux Etats-Unis !

Sans surprises, l'index 2020 portant sur 2019 (un peu vieux donc, je vais voir s'il y en a un plus récent) ne révèle pas de prédominances des auteurs neuroqueers pars rapports aux autres, les chiffres sont (sauf pour le sexe) conformes à la norme, à savoir :

* la "race", 76% de blanc / caucasien ;

* le genre, 74% de femme cis (la seule vraie "surprise" du truc) ;

* l'orientation sexuelle, 81% hétéro ;

* le handicap, 89% valide.

Je regarde s'il y a des chiffres plus récents ; mais notez d'ores et déjà que l'article constate une orientation (légère au vu des chiffres) vers plus de diversité depuis 2015.
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Re: "Aujourd'hui, Roth ou Bukowski ne seraient plus publiés"

Messagepar Apophis » 23 mai 2023 à 11:54

Weirdaholic a écrit :Je veux dire qu'il est fort probable qu'avant, il y avait autant de manuscrits "minoritaires", c'est juste que maintenant les agents les font monter un peu plus haut dans leur processus de sélection - peut-être trop.


Je ne suis pas d'accord avec ça. Depuis que je lis en VO, je n'ai jamais eu de mal à trouver des lectures intéressantes, que ce soit en Fantasy ou en SF... jusqu'ici. Là, ça fait 1-2 ans, facilement, que je peine à trouver quoi que ce soit de motivant, ce qui est annoncé pour les 18 mois à venir n'est guère meilleur, et ce que je lis quand-même / que l'éditeur Machin me fait évaluer se révèle décevant dans la plupart des cas. Donc de mon point de vue, soit la majorité des manuscrits sont devenus au mieux passables, au pire mauvais, soit ils sont choisis par les éditeurs / agents anglo-saxons sur des critères qui ne sont plus majoritairement littéraires, mais consistent à cocher des cases (y compris : "ressemble au film / à la série X ou Y"). Sauf que cocher des cases, ça ne fait pas forcément un bon livre. Même quelqu'un qui veut absolument lire un livre cochant la case A ou B voudra tout de même avoir une intrigue / des persos / un style / ... qui tiennent un minimum la route.

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