Le Passager clandestin est dans la mouise

Bizou73
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Bizou73 » 27 mai 2014 à 18:52

scifictif a écrit :Tentative de définition :
Le simple lecteur, c'est celui qui n'a rien à vendre.
(espèce rare ici)


Excellente définition.
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Cachou
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Cachou » 27 mai 2014 à 20:34

thomasday a écrit :J'ai tendance à ne plus supporter cette fixation sur le prix des livres donc globalement sur la valeur de mon travail et de celui de ceux qui comme moi travaillent dans le livre.

En tant que lectrice boulimique, je dois dire que le prix des livres est une de mes grosses fixations et un des gros problèmes de ma vie (ça et les places de cinéma qui deviennent tellement chères que je ne sais pas comment je vais continuer à suivre).

thomasday a écrit :Les livres
1/ ne sont pas chers en France (ceux du passager clandestin y compris)

Oui mais non, pas d'accord. Quand on ne cherche pas à savoir ce qui se passe derrière et qu'on réfléchit seulement à ce qu'on peut se permettre en fonction de ses revenus, le livre est cher en France. Plus qu'en Angleterre, plus qu'en Italie. A titre d'exemple, Adelphi, qui est un des éditeurs aux livres les plus chères dans la péninsule (mais aux livres superbes et aux choix éditoriaux appréciables, c'est ma maison d'édition italienne préférée), et l'équivalent italien d'Actes Sud (plus ou moins), vend "La classe de neige" de Carrère en grand format (et donc traduit) à 16€ avec réduction si achat sur son site, le livre coûtant alors 13€60, c'est-à-dire le même prix qu'en France alors qu'il n'y a pas de traduction à payer en français (et qu'il y a un plus grand public en français, d'autant plus que Carrère est un auteur connu plus connu en France qu'en Italie). "Les détectives sauvages" de Bolaño en grand format coûte 25€ à la base et 21€25 sur le site de l'éditeur. L'équivalent français GF est à 28€40. "Karoo" de Tesich est à 20€ en grand format, 17€ sur le site de l'éditeur, il coûte 22€ en France. Ce ne sont que trois exemples pris sur la page d'accueil de l'éditeur présentant les nouveautés (j'ai choisi celles que je savais avoir été également publiées en France). Donc un pays qui a un public de lecteurs potentiels plus petit que la France et un nombre plus important de traductions à faire (vu qu'il ne peut compter sur les livres d'autres pays parlant la même langue) arrive, avec une de ses maisons d'édition les plus chères, à proposer des prix en grand format plus intéressants à la base que ceux français, et sacrément plus bas quand s'applique la réduction proposée sur le site de l'éditeur (oui, je sais que la chose n'est pas possible en France)...


thomasday a écrit :3/les bibliothèques existent

Tout à fait, mais le choix des bibliothèques n'est pas le choix des librairies. Alors quand on veut un livre de littérature générale, c'est normalement faisable, en Belgique grâce au prêt inter-bibliothèques, en France je ne sais pas comment vous faites. Mais quand on veut des titres un peu plus poussés, des trucs plus spéciaux, des maisons d'édition moins connues, c'est tout de suite moins facile, voire parfois impossible. Je viens de regarder à titre d'exemple. Sur tous le Hainaut (donc sur plus de 150 bibliothèques de tailles diverses et dépôts de ces bibliothèques dans les plus petits villages), il y a très exactement 23 livres du Bélial pour 20 titres différents. Ça peut paraître beaucoup. A titre de comparaison "Le bal" de Danielle Steel (j'ai pensé à ce titre parce qu'on me l'a rendu encore aujourd'hui) est dans 57 bibliothèques différentes du Hainaut. Il y a donc plus de deux fois plus d'exemplaires d'un même livre de Steel que de livres du Bélial disponibles dans toutes les bibliothèques du Hainaut. Ça limite les possibilités de pouvoir l'emprunter.
Les bibliothèques, c'est génial, ce n'est pas moi qui dirai le contraire. Mais pour un lecteur avide aux goûts spécifiques, ce n'est pas non plus l'idéal. Je sais que si je pouvais me payer tous les livres que je veux vraiment, je serais une lectrice différente, dans le sens que je lirai moins de romans plus connus, plus de trucs biscornus. Ce qui me freine est bel et bien le prix des livres. Et pourtant, j'en achète beaucoup. Mais les deux tiers (voire les trois quarts) proviennent de bouquineries et sont financés par la revente de livres que je n'ai pas aimés.

thomasday a écrit :4/le marché de l'occasion est très présent/accessible.

Tout à fait d'accord et c'est ma principale source de livres avec la bibli. Mais je doute que ça aide des structures comme Le Passager clandestin...
John Shooter
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar John Shooter » 27 mai 2014 à 21:10

Cachou a écrit :Mais les deux tiers (voire les trois quarts) proviennent de bouquineries et sont financés par la revente de livres que je n'ai pas aimés.
A peu près pareil pour moi.
Exemple: je finance partiellement Drift avec quatre bouquins de SF que je n'ai pas voulu/pu/réussi à finir...
...
Tiens, c'est du recyclage, ça, non..?
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Cachou
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Cachou » 27 mai 2014 à 21:33

Sauropside a écrit :
Cachou a écrit :Mais les deux tiers (voire les trois quarts) proviennent de bouquineries et sont financés par la revente de livres que je n'ai pas aimés.
A peu près pareil pour moi.
Exemple: je finance partiellement Drift avec quatre bouquins de SF que je n'ai pas voulu/pu/réussi à finir...
...
Tiens, c'est du recyclage, ça, non..?

Les arbres te remercient ;-p.
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Thomas Day » 28 mai 2014 à 06:55

Quand je dis que les livres ne sont pas (assez) chers en France, je ne me place pas du côté du lecteur mais de l'industriel/artisan (soit Denoël/Le Bélial'). Cela précisé, ici je ne parle qu'en mon nom et certainement pas au nom de l'une ou de l'autre de ces entreprises.

J'ai déjà fait cette "démonstration" ailleurs, mais comme il semble visiblement nécessaire de recommencer, je la refais ici.
Pour fabriquer un livre de bonne qualité il faut payer l'auteur, l'éditeur (celui qui a travaillé sur le texte avec l'auteur ; je sais qu'il est à la mode de penser que l'éditeur est inutile, c'est évidemment pas une mode qui me sied), le correcteur, le composeur, l'illustrateur de couverture, les services commerciaux, l'attaché de presse, le traducteur (le cas échéant), l'imprimeur, etc. Un auteur appréciera peu que vous fassiez sauter les services commerciaux ou le service de presse ou le correcteur pour faire des économies. Je comprends à quel point je suis un dinosaure en exigeant tout ça pour "mes" auteurs. Un vieil éditeur dépassé, en bout de course, qui, pipe à la main, dit bonjour à tout le monde du stagiaire au patron, qui arrivé dans son bureau se souvient d'y avoir vu passer des Christopher Priest, des Robert Charles Wilson, Jacques Sadoul, mais aussi une des futures éditrices d'Asphalte, un jeune type qui a roulé sa bosse de Folio-SF jusqu'à J'ai Lu.
Mais revenons à nos moutons : si on veut payer correctement tout ce petit monde (de l'auteur à l'imprimeur, donc), ça fait vite un budget conséquent. Aujourd'hui, bien souvent, ce budget entre en collision avec les tirages pratiqués ; quand j'ai commencé Lunes d'encre il y a quinze ans 4000 ex était mon tirage le plus bas ; aujourd'hui Morwenna c'est 4000ex, donc mon tirage le plus haut pour 2014.
Comment résoudre le problème du budget élevé et des petits tirages ? Déjà on l'appréhende en faisant un calcul du prix théorique du livre ; aujourd'hui la plupart des maisons arrivent à des prix théoriques unitaires entre 40 et 60 euros (c'est ça le vrai prix d'un livre quand on veut payer les gens correctement), donc oui nous sommes dans une impasse, notamment parce que le prix des livres n'a pas suivi l'inflation, n'a pas explosé au moment du passage à l'euro contrairement au prix des oeufs, du pain et du reste. Comment cette industrie continue à tourner : au prix d'une incroyable casse humaine (combien de mes amis au chômage actuellement ? pas mal), de réductions aberrantes des coûts, de concurrence déloyale, de délocalisation de certains services, de la baisse globale de la qualité de ce qui est publié (pas d'un point de vue subjectif, mais bien d'un point de vue de fabrication/correction).

Donc oui, ça m'agace qu'on dise les livres chers, parce que ça veut dire "je ne veux plus payer la qualité, l'exigence, le travail" ; oui ça m'agace que les livres deviennent de plus en plus cher parce que ça découle en grande partie d'une politique éditoriale aberrante de surproduction (un jeu auquel je n'ai JAMAIS joué) et qu'il m'a coûté parfois très cher de dénoncer.

Les lois du marché étant ce qu'elles sont, tout ça va se régler dans les larmes et le sang (ça a déjà commencé). Vous êtes (pour la plupart de ceux qui lisent ce message) de l'autre côté du miroir (simples lecteurs, vraiment ?) ; moi, je suis en plein champ de bataille, et je peux vous dire que c'est moche, c'est moche depuis des années et c'est tellement moche aujourd'hui que ça n'a plus guère de sens. Il faut en trouver de la nyak pour se dire "on continue", "on ne baisse pas les bras", "on cherche de nouvelles solutions", "on y croit". Croire ? Mais à quoi ? Moi je crois en la qualité, l'exigence... je suis bien barré, là.

Alors ok, Herbefol, le livre est un produit de consommation comme les autres, dans ce cas-là passez à son équivalent "bio" / "commerce équitable" et acceptez de le payer plus cher, d'en empruntez plus, d'en acheter moins, de se les prêter, de se tourner vers l'occasion. De faire des coopératives, des bibliothèques en commun. J'en sais rien. Ou à peine plus que vous.

Derrière un livre, il y a des tas de gens qui travaillent et ils sont exactement comme vous qui travaillez ou cherchez du travail : ils méritent le minimum de respect.

GD, directeur de la collection "Lunes d'encre"
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Cachou » 28 mai 2014 à 08:13

Je ne remets pas en question ce raisonnement. Je me demande juste pourquoi, en Italie, avec un public potentiel moins important, une diffusion plus restreinte et autant de frais de traduction, si pas plus, ils arrivent à avoir des prix plus bas (ce y compris pour les produits de qualité/bio comme ceux de l'éditeur cité qui, pour parler à ceux qui viennent ici, publie notamment Yoko Ogawa et a quatre livres de Shirley Jackson dans son catalogue). Et je suis désolée de dire que je songe de plus en plus à briser ma règle sur les cartes de crédit/paypal pour m'acheter des livres là-bas (au lieu de les acheter en français, oui, comme tous ces lecteurs de Young Adult qui achètent de plus en plus en VO, pour avoir le livre avant, certes, mais aussi parce que ça revient nettement moins cher).

Je comprends bien que, oui, il faut payer tout ce monde et faire des produits de qualité. Mais face à ça, il y a des lecteurs qui n'ont pas forcément les moyens de s'offrir les livres au prix qu'il faudrait qu'ils soient payés. C'est bien connu que les lecteurs sont souvent des paumés au capital culturel élevé mais au capital économique très bas, même Bourdieu le savait ^_^. Bon, boutade mis à part, je ne nie pas qu'il y a un besoin d'élever le prix des livres pour qu'ils soient de bons produits. Je me demande juste pourquoi d'autres modèles d'édition existent dans d'autres pays. Et je constate que je connais peu de gros lecteurs (lecteurs lisant plus d'un livre par mois) capables de suivre le prix français et d'acheter les neufs en GF, moi la première, et pourtant TOUT mon argent "en plus" passe dans les livres (et les films). Mais je ne peux pas m'en acheter beaucoup et ça ne sera pas mieux quand j'aurai mon temps plein, à moins de trouver une source de revenus supplémentaires (que je cherche mais pour d'autres raisons). Je ne pense pas être un cas particulier, je connais beaucoup de lecteurs dans la même situation que moi. Dès lors, si de nombreux lecteurs ne peuvent pas se permettre les livres que les éditeurs publient au prix auquel ils sont publiés pour l'instant, c'est qu'il y a un problème, non? On se trouve dans une impasse, là...

PS: Juste pour rester dans le sujet, oui, je fais partie de ces lecteurs qui étaient intéressés par les textes publiés dans la collection du Passager clandestin évoquée ci-dessus mais n'en achetant pas (j'en ai acheté juste un) uniquement à cause du prix.
EDIT: PPS: Autant je suis une grand consommatrice des livres de bibli, autant il est hors de question pour moi de faire des bibliothèques en commun, et parce que je n'ai pas forcément les mêmes goûts que les lecteurs que je fréquente en live, et parce que quand j'achète un livre, je veux pouvoir l'annoter, me l'approprier et le posséder, bêtement. Je ne connais pas, dans mon entourage, des personnes souhaitant lire des Bélial ou des Lunes d'Encre, à titre d'exemple.
EDIT 2: PPS: je viens de penser à un autre exemple. Il y a un coffret chez Enaudi (entre Gallimard et Christian Bourgois) qui me fait envie depuis quelques mois, celui qui reprend les quatre livres de Salinger. Il coûte 24€ (livres grand format + coffret). Si je veux l'équivalent en français, je devrais payer 26€50. Pour des poches. Là encore, comment les italiens ont-ils réussi à sortir un beau coffret GF moins cher?
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Patrice2 » 28 mai 2014 à 09:05

Salut,

Il est vrai que la question des tarifs italiens ne manque pas de m'étonner. Un éditeur a par exemple réussi à publier "La Maison dans laquelle..." de Mariam Petrossian, un pavé de 900 pages, à 20€ (et encore, il est vendu 17€ sur Amazon.it

Comment font-ils? Le traducteur est-il installé en Transnistrie? L'éditeur aux Îles Caïman?

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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar W » 28 mai 2014 à 10:09

Je parierai que les salariés de l'édition italienne vivent d'autant plus mal que leurs homologues français...
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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Thomas Day » 28 mai 2014 à 10:33

W a écrit :Je parierai que les salariés de l'édition italienne vivent d'autant plus mal que leurs homologues français...


1/ Il serait intéressant de savoir quel est le coût du travail en Italie.
2/ Il faudrait pouvoir étudier la convention collective (s'il y en a une) de l'édition en Italie et comparer avec celle qui existe en France
3/ Il faudrait connaître la production en volumes vendus après retours et la rapporter à la population italienne, et faire de même avec la production française.
Déjà on aurait une meilleure idée du tableau d'ensemble.

Je ne connais pas le marché italien, mais Rosa Montero avec qui j'ai eu le plaisir de dîner à Montpellier le week-end dernier m'a fait une description cataclysmique du marché espagnol. Après avoir été à plusieurs reprises numéro 1 des ventes (sur la liste de "fictions") à environ 300 000 exemplaires, elle est n°2 des ventes avec 38 000 sur son dernier livre (elle accuse beaucoup le piratage qu'elle définit comme le sport national espagnol avant le football, j'ai dû mal à la rejoindre sur cette analyse).

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Re: Le Passager clandestin est dans la mouise

Messagepar Herbefol » 28 mai 2014 à 12:07

thomasday a écrit :Alors ok, Herbefol, le livre est un produit de consommation comme les autres, dans ce cas-là passez à son équivalent "bio" / "commerce équitable" et acceptez de le payer plus cher, d'en empruntez plus, d'en acheter moins, de se les prêter, de se tourner vers l'occasion. De faire des coopératives, des bibliothèques en commun. J'en sais rien. Ou à peine plus que vous.

Moi ce qui me gonfle surtout avec l'argument du "on n'est pas un marché comme un autre" c'est surtout que c'est utilisé depuis des années pour refuser toute vraie réflexion sur l'avenir et l'évolution du secteur du livre, avec les dogmes auxquels il est interdit de toucher.

Alors oui, le marché du livre a ses spécificités, évidemment, je ne vais pas le nier. Mais c'est pareil pour tous les autres marchés. Eux aussi ont leurs spécificités, que ce soit les fringues ou le commerce alimentaire. Même les vis et les boulons.

Pour le reste, j'y reviendrais un peu plus tard (pas le temps à l'instant), mais y a des trucs faux, comme l'inflation.
L'affaire Herbefol
Au sommaire : La pointe d'argent de Cook, Black Man de Morgan, Navigator de Baxter, Cheval de Troie de Wells & The Labyrinth Index de Stross.

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