Bernard Minier, M Le Bord de l'Abîme

[Joachim-28]

D'habitude, je ne m'aventure pas dans les thrillers/policiers, mais le thème de celui-ci m'a interpellé : l'action se déroule en Chine, et met en scène une IA. Il n'en faut pas plus pour l'amateur de science-fiction que je suis pour être ferré. L'auteur s'est beaucoup documenté et a compulsé une liste d'ouvrage impressionnante, et surtout, il s'est rendu à Hong Kong où se déroule l'histoire de son roman. Mais pas là où vont les touristes. Plutôt dans les lieux sordides, où l'humanité s'entasse, drogue & prostitution, mafia.

Où en est l'intelligence artificielle aujourd'hui ? En train de faire des bonds de géants dans l'interaction avec l'humain, agent conversationnel, de materner les êtres humains, de tout savoir sur eux. Dans le roman, les personnages qui travaillent pour la firme toute puissante, sont contrôlés, observés par l'IA, première personne à qui il parlent le matin, dernière personne à qui il s'adressent en se couchant. Comme l'explique l'auteur dans une interview, quand on se rend sur Internet, on laisse des traces. Ces traces en disent beaucoup sur nous. Une IA peut ainsi s'en servir, et nous faire pencher, dériver. Ce n'est ni plus ni moins que de la manipulation.

Le roman est aussi une réflexion sur la Chine. Les chiffres donnent le vertige : la France compte un peu plus de 65 millions d'habitants. La Chine en compte 1 milliard 400 millions. On comprend aisément avec ces données chiffrés, que dans la compétition mondiale qui s'annonce, nous ne sommes pas de taille. Forcément, sur le nombre qu'ils sont, il y a plus de cerveaux chez eux que chez nous. Par conséquent, la recherche avance plus vite chez eux, le nombre de brevets, etc. Mais ce n'est pas tout. L'Occident a des lois bioéthiques que la Chine n'a pas. A l'heure où j'écris ces lignes, qui sait quelle recherche s'effectue sur le clonage humain, l'ingénierie du génome humain, la création de surdoués, dans un pays où l'on n'a pas les mêmes barrières d'ordre éthique ?


Voilà ce sur quoi le roman donne à réfléchir. La trame de l'histoire n'est en soi pas très palpitante, le côté thriller n'est pas fou, et se marie assez mal à vrai dire avec le thème : on sait qu'il y a un meurtrier, mais à l'heure où l'on est tous surveillés, où la science est l'ennemie du crime, où les caméra sont omnipotentes, où l'IA sait tout, ça donne peu de place à l'idée d'un tueur insaisissable, récidiviste et manipulateur.


Un romancier de plus qui tire la sonnette d'alarme sur le monde techno-cocon qu'on tisse chaque jour, avec notre plus parfaite complicité.

[ubikD]

Comme quoi, la chanson mène à tout.