Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

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FeydRautha
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar FeydRautha » 01 mars 2019 à 10:38

Je rejoins Xavier Dollo dans son analyse en trois niveaux de lecture, et je vais expliciter l’interprétation que je me suis contenté de susurrer à l’oreille des lecteurs sur le blog histoire de ne pas imposer mon point de vue. Mais puisque vous réclamez qu’on cause, alors on va causer.

Image

Mise en garde, si vous n’avez pas lu le livre de Christian Léourier, ne lisez pas ce qui suit, je vais y dépecer le livre et spoiler jusqu’au fond des tranchées. (Il va sans dire que ceci n'est que mon point de vue personnel, mon interprétation, et qu'en aucun cas je ne prétends qu'elle soit juste.)


Premier niveau de lecture : l’aventure spatiale qui tourne mal.

Ce niveau de lecture correspond au récit factuel (pour reprendre la terminologie de Genette)

Affecté par la perte de son amour Maï, Vic a signé un contrat de travail de quelques années sur la planète inhospitalière Helstrid pour laisser derrière lui son passé. Il part pour une mission de ravitaillement qui tourne mal. Les maux s’enchaînent : blizzard, tempête magnétique, tremblements de terre, détours et lac glacé. Il finit par manquer d’oxygène et meurt. Point.

Deuxième niveau de lecture : l’obsolescence ou l’affrontement homme-machine.

Comme relevé par Xavier Dollo, ce niveau de lecture se présente essentiellement dans les dialogues entre Vic et Anne- Marie, l’IA du véhicule de transport.

Il y a pour moi deux pivots dans ce récit. Le premier est la rupture de communication avec le monde extérieur lors de la tempête magnétique. A ce moment la planète, qui à mon avis n’est pas totalement innocente, offre à Anne-Marie la possibilité du libre arbitre. Isolé, le convoi repose alors entièrement sur l’IA qui doit prendre des décisions, reléguant à partir de ce moment Vic au rôle de spectateur. C’est le moment où les discussions entre Anne-Marie prennent un ton différent. L’IA est en charge. Elle va jusqu’à philosopher avec l’humain en lui expliquant ce qu’est la beauté. Et évidemment, « Vic voulu répliquer, mais les arguments lui manquaient. »

Le second pivot arrive plus tard, et fait basculer la confrontation de manière définitive, lorsqu’Anne-Marie demande à Vic : « Tu as confiance en mon jugement, n’est-ce pas ? » Ce à quoi Vic ne répondra jamais.

Ce niveau de lecture est le récit d’un passage de relais entre l’humain devenu obsolète et l’intelligence artificielle qui prend le pouvoir. Notez que le livre s’ouvre avec Vic qui s’interroge « Pourquoi diable avait-il échoué sur Hestrid » et se referme avec Anne-Marie qui se demande « pourquoi on a cru bon d’adjoindre aux machines des auxiliaires aussi vulnérables que des entités biologiques. »



Troisième niveau de lecture : le dernier voyage

Ce niveau de lecture se fait entièrement dans la symbolique utilisée par l’auteur.

Cette part du récit démarre à la page 35, lorsque le convoi passe le monolithe du Chien assis. On connait tous la symbolique du chien, que ce soit Cerbère dans la mythologie grecque qui garde l’entrée des enfers, Anubis (un pote à Apophis) le maître des nécropoles dans le panthéon égyptien, la chien endosse le rôle du psychopompe qui guide les âmes vers le royaume des morts.

Une parenthèse est utile sur les noms des IA, que quelqu'un, je ne sais plus qui, a jugé improbables. Nous avons trois unités : A (Anne-Marie), B (Béatrice), C (Claudine). Anne-Marie est un prénom d'origine hébraïque qui désigne celle qui élève, dans le sens d'élévation spirituelle. Béatrice est celle qui apporte la bonheur, celle vers qui Vic court mais n'atteindra jamais. (Claudine n'a qu'un rôle mineur dans l'histoire).

Page 40, Vic est témoin de la tempête magnétique. « Une lueur d’abord diffuse, gagnant en intensité de seconde en seconde, tombait des écrans qui, au plafond, restituaient l’image du ciel », puis « des sons modulés accompagnaient les mouvements des draperies, des vibrations profondes qui s’assemblaient en harmonies fluctuantes. Sur ce fond grave éclataient, clairs et rythmés, les staccato des éclairs» Là, il nous faut citer l’Apocalypse selon Saint Jean, chapitre VI : « Après cela je regardai le ciel et je vis une porte ouverte dans le ciel » puis dans la chapitre VIII : « Il se fit des bruits dans l’air, des tonnerres, des voix des éclairs, et un grand tremblement de terre. » Ce grand tremblement de terre, on le retrouve évidemment quelques pages plus loin dans Helstrid

Je ne vais pas vous refaire ainsi toute la seconde moitié du livre, mais cela continue, encore et encore.

Saint Jean chapitre XVIII (qui est l’annonce de la condamnation) : « Après cela je vis un autre ange qui descendait du ciel, ayant un grande puissance, et la terre fut tout éclairée de sa gloire. »

Léourier, page 75 : « Le jour s’annonça par une lueur diffuse. Soudain le voile qui bouchait le ciel se déchira, juste au-dessus de l’horizon. Une nappe blanche de lumière inonda le plateau . Accrochant tout ce qui faisait saillie, elle explosa en millions d’arcs-en-ciel. » L’arc-en-ciel, la gloire, toussa...

Tout cela pour dire que ce troisième niveau de lecture ne fait que raconter le dernier voyage de Vic, de l’homme, vers la mort. Une image très forte conclue le destin de Vic : il meurt debout, soutenu par sa combinaison motorisée, dans la posture de l’Homme qui marche de Giacometti. Sculpture, qui par son mouvement et le regard vers l’horizon, symbolise la marche de l’homme vers son avenir, mais ses pieds immenses et inamovibles le condamnent à l’éternelle immobilité.


Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais pour en finir, je vous propose la (re)lecture du poème La Mort des Pauvres de Charles Baudelaire, vous y trouverez aussi là matière à réflexion sur le texte de Christian Léourier :

C'est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au soir ;

A travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir ;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir ;

C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus ;

C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !

[edit] pour correction de multiples fautes. Vous ne m'en voudrez pas trop, j'ai écrit ça ce matin devant mon café, pas très réveillé encore.
Modifié en dernier par FeydRautha le 01 mars 2019 à 17:39, modifié 3 fois.
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Soleilvert » 01 mars 2019 à 10:50

Baudelaire, Genette …. chapeau !
Je note aussi la référence au salaire de la peur (JDB)
Que dire après tout ça ?
Achetez le !
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Apophis » 01 mars 2019 à 12:07

Aldaran a écrit :Pour finir, je viens de relire entièrement notre échange et je ne vois aucun « argument d'autorité [...] disant "Apophis, ton avis ne vaut rien parce que tu n'es pas d'accord avec moi" » de ma part. Si tu veux bien citer le passage qui te fait penser cela, ça m'intéresse.


C'était une remarque générale, pas dirigée contre quelqu'un en particulier.
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Lune » 01 mars 2019 à 12:37

FeydRautha a écrit :Je rejoins Xavier Dollo dans son analyse en trois niveaux de lectures, et je vais expliciter l’interprétation que je me suis contenté de susurrer à l’oreille des lecteurs sur le blog histoire de ne pas imposer mon point de vue. Mais puisque vous réclamez qu’on cause, alors on va causer.

Merci pour cet éclairage nouveau concernant ce texte. ça me permet d'y repenser autrement, au-delà des niveaux 1 et 2 de lecture.

Il est vrai que la mort debout a tout du symbole.
Ce n'est pas parce que je dis n'importe quoi que j'ai tort. Et je le dis .
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Clément » 01 mars 2019 à 12:52

Les fichiers de la version numérique de Helstrid on été mis à jour avec quelques corrections de coquilles.

À télécharger depuis votre bibliothèque numérique
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Aldaran » 01 mars 2019 à 12:54

Qu'est-ce que je trouve ça chouette quand on cause des livres, comème !
Les différences d'interprétations et les liens que fait chacun avec ses propres connaissances et sa propre culture m'ont toujours fasciné. Oui, les lecteurs de SF ont l'habitude de faire un pas de côté pour voir différemment ce qu'on leur raconte. Mais ce n'est jamais le même pas et j'adore en discuter.

Je me souviens d'une époque où ActuSF invitait des auteurs ou des illustrateurs, durant quelques jours, pour discuter le bout de gras avec les lecteurs. C'était cool. Pour ce que ça vaut : c'est impossible ici ?

Cela dit, j'ai conscience que les auteurs ont beaucoup à faire par ailleurs ou qu'ils ne souhaitent pas prendre part à un tel truc ou sont simplement plus intéressés par toutes ces interprétations (ou inversement).
Ken Liu m'a dit un jour "Je ne lis jamais les critiques des lecteurs, ça ne m'apporte rien dans mon travail". (C'est de mémoire et c'était en privé, ne cherchez pas !) Mon niveau d'anglais m'a imposé de botter en touche sans insister. Pas bien grave, je continue de placer les nouvelles de cet auteur très haut dans mon estime.
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Xapur » 01 mars 2019 à 18:15

A mon avis, FeydRautha abuse de l’Épice ;)
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar JDB » 01 mars 2019 à 19:13

Xapur a écrit :A mon avis, FeydRautha abuse de l’Épice ;)

On a dit d'éviter les attaques ad harkonnen.
-------------------------------------------------> []
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"Impliqué en permanence", qu'il dit.
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar FeydRautha » 01 mars 2019 à 19:29

Xapur a écrit :A mon avis, FeydRautha abuse de l’Épice ;)

T'en auras pas ! Voilà !
JDB a écrit :On a dit d'éviter les attaques ad harkonnen.

Voilà ! T'en veux ?
"Scientifiquement, c'est un immense bordel la réalité."
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Re: Helstrid, Christian Léourier (février 2019)

Messagepar Soleilvert » 01 mars 2019 à 20:17

JDB : outre Le salaire de la peur, je verrai bien une vieille nouvelle de Clarke issue d'une vieille antho.
FeydRautha : lecture symbolique, j'en vois bien une, celle de l'utérus.

... il reste un peu d'épices ?

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