Pyjam a écrit :Vous êtes éditeur dans un registre qui a moins de visibilité que la presse de charme qui a pourtant été totalement anéantie par internet et vous gardez le moral. Sincèrement, chapeau ! :O)
Mais de quelle visibilité parle-t-on ?
Quand je suis arrivé chez Denoël (1998-1999), on mettait en place en librairie (soit toute la francophonie) 2300 exemplaires environ de chacun des titres de la collection, 3000 sur un titre comme
Spin (lauréat du prix Hugo, puis du Grand Prix de l'Imaginaire). Aujourd'hui les écarts sont assez grands, on met en place à 1400-1800ex (disons les titres "courants"), comme à 3000ex selon ce qu'on fait autour du livre (plaquette, PLV, venue de l'auteur), et globalement le succès ou le naufrage d'un titre ne se joue plus là, à ce niveau-là.
Mon point de vue (déjà ancien) c'est qu'en SF/F/F on est passé d'une économie de mise en place à une économie de réassorts, donc paradoxalement à un système plus "cruel", mais plus sain.
La visibilité du livre, elle se fait en librairie, certes, en librairie en ligne (beaucoup), mais aussi en presse et sur les réseaux sociaux.
En presse, il faut un "coin" pour entrer, tout ne peut pas être médiatisé, des auteurs et/ou sujets portent davantage que d'autres et les produits de divertissement "populaires" ont assez peu de chance d'émerger.
Sur les réseaux sociaux ces mêmes produits (de divertissement/populaires) peuvent acquérir beaucoup de visibilité, car la lectrice ou le lecteur ne va pas mettre en avant le sujet, mais le plaisir qu'il a eu à lire l'ouvrage.
Au-delà de ma petite chapelle, j''essaye de voir ce qui est "important" pour un genre. Ce qui est important, me semble-t-il en SF qui est une littérature "collective" qui ne fonctionne comme aucune autre, c'est que les titres les plus pointus, novateurs, à même de faire avancer le genre soient disponibles (en français). Je ne parle pas de succès, mais juste de disponibilité. On en a parlé mille fois, ici ou ailleurs, la non-publication des meilleurs romans de Neal Stephenson (due aux coûts de traduction de livres absolument déments en termes de taille, coûts à mettre en rapport avec un public potentiel réel, mais éparpillé par les effets pervers de la surproduction) est un indicateur très négatif, ces livres devraient être disponibles, bien traduits en français. Ils sont importants pour mille raisons, dont la "place à part" qu'ils occupent dans le genre. A contrario, le succès d'un recueil de nouvelles de Ken Liu (au Bélial') est un indicateur extrêmement enthousiasmant.
Je crois qu'on ne se penche pas assez sur l'évolution du lecteur de SF depuis les années 70 à aujourd'hui. Quand je suis arrivé dans le milieu je ne rencontrais quasiment que des lecteurs disons "purs", ne lisant peu ou prou que le genre SF (et souvent du polar "François Guérif présente"). Aujourd'hui je ne rencontre quasiment plus que des lecteurs qui lisent Agullo, le nouvel Attila, M. Toussaint Louverture, ce genre d'éditeurs et qui ont du goût et une très grande curiosité pour la SF. C'est clairement dû à la ligne particulière de Lunes d'encre, mais j'ai suivi le même chemin, je suis très séduit par les éditeurs sus-nommés et je néglige complètement des auteurs que j'aurais scrupuleusement "suivis" il y a vingt ans... comme Alastair Reynolds, par exemple.
Pyjam a écrit :Je me rappelle d'une époque où je trouvais encore les nouveautés Ailleurs & Demain dans les Relais H du RER... Ce n'est plus qu'un souvenir.
Vous parlez d'une époque où il y avait deux ou trois collections grand format et où Ailleurs&Demain faisait office de leader incontestable. Aujourd'hui vous avez trente, quarante, cinquante collections grand formats, aucun leader incontestable sur le genre et surtout de la SF absolument partout, en rayon de littérature étrangère, en littérature française, en polar, etc.
Norman Spinrad a dit "un livre de SF c'est un livre où il y a marqué SF dessus" (je ne me souviens pas de la citation exacte), je pense que ce n'est plus le cas, un livre de SF c'est un livre dans lequel une ou plusieurs sciences (dures et/ou sociales) sont abordés par le trait de la fiction, idem pour le rapport à la science, ou notre rapport à notre environnement technologique. Notre environnement (technologique / écologique) étant devenu ce qu'il est, un bon gros morceau de la littérature contemporaine relève directement ou indirectement (par expérience de pensée) de la SF.
Les gens pleurent sur la mondialisation, mais la mondialisation n'est pas un choix politique, c'est une réalité irréversible (sauf à vouloir vivre en Corée du nord, et encore la Corée du nord est condamnée à s'effondrer, la question c'est plutôt quand et comment). On peut pleurer sur la dilution de la SF dans la littérature contemporaine, mais globalement c'est une réalité aussi irréversible que la mondialisation.
Pour finir j'en reviens à ce qui important : que les titres (importants, novateurs) soient disponibles, bien publiés. Evidemment qu'on veut qu'ils aient du succès, qu'ils soient visibles, médiatisés, car le succès ouvre des possibilités. Le recueil de Vandana Singh que j'ai publié,
Infinités, ne s'est pas bien vendu et je regrette qu'on ne puisse probablement pas en faire un second car les textes SF récents de Vandana sont passionnants par leur humanité. Je pense que le public français devrait avoir accès à de tels textes. Mais tout n'est pas perdu, dans quelques années Vandana aura un succès incontestable pour un titre, une novella, et les portes se rouvriront en grand.
GD